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La seconde guerre mondiale, nouvelles perspectives
Organisé par le SIVOM Vivarais-Lignon, la SHAM et l'Association internationale des Musées d'Histoire
Du 05/07/2002 au 07/07/2002 à Sainte-Agrève et au Chambon-sur-Lignon

Introduction

Organisées conjointement par le SIVOM (1) Vivarais-Lignon, la Société d'Histoire de la Montagne, que préside Odile Boissonnat, et l'Association Internationale des Musées d'Histoire, présidée par Laurent Gervereau, les deux journées d'études, partagées entre Le Chambon-sur-Lignon (Haute-Loire) et Saint-Agrève (Ardèche), ont abordé de façon très distincte le thème d'ensemble " La Seconde Guerre mondiale, nouvelles perspectives ".
La première journée, consacrée aux musées de la Seconde Guerre mondiale, par la comparaison des choix muséographiques, historiographiques et scénographiques très variés de quelques musées français et européens, a permis de développer une réflexion sur leurs fonctions et leur devenir. Lieux de conservation, les musées sont aussi des lieux de présentation et de restitution, des lieux de débats : comment combiner la recherche historique et les enjeux de mémoire, la transmission et la diffusion des savoirs ? Sous quelles formes ? Pour quels publics ?
La seconde journée a donné des éclairages historiques et des mises au point historiograhiques sur les notions de "sauvetage ", de " résistance civile ", de " montagnes-refuges ", ainsi que sur les spécificités identitaires (juives, catholiques, protestantes) de ces formes de résistance (2), reprenant en partie les travaux engagés par le colloque de 1990 (3).
Ces deux journées ont pu apporter matière à réflexion aux responsables du projet de construction, sur le Plateau Vivarais-Lignon, d'un Centre muséal destiné à restituer l'histoire de cette région d'accueil et de refuge pendant la Seconde Guerre mondiale. D'autant que les mémoires - et les reconstructions - de cette période sont multiples (mémoire protestante, mémoire juive, mémoire locale, légendaire de la non-violence), et que ce projet n'est pas le seul (4).

Les musées de la Seconde Guerre mondiale : " la mémoire, l'histoire, l'oubli" (5)?

La mémoire.

Rarement la création d'un musée relatant un aspect de la Seconde Guerre mondiale (Résistance, déportation, débarquement, aspects militaires, vie quotidienne sous l'Occupation, Shoah) a été suscitée par la volonté d'historiens. Comme l'ont montré les conservateurs présents à ces journées, la décision de bâtir un musée, du plus ancien au plus récent, vient le plus souvent soit du milieu politique (local ou national) - décision prise parfois à l'occasion de la célébration d'un événement qui fait l'actualité (le procès Barbie en 1987 et la redécouverte du drame des enfants juifs déportés d'Izieu, comme l'a rappelé Geneviève Erramuzpe, conservateur à la Maison des enfants d'Izieu (6))-, soit de l'initiative d'une association locale d'anciens résistants ou déportés.
Les associations ou les amicales à l'origine des plus anciens musées de la Seconde Guerre mondiale, créés dans les années 1960 (20ème anniversaire de la Libération), sont porteuses d'une mémoire et d'idéaux qui en ont imprégné les murs et orienté les objectifs et la vocation. Pour Jean-Claude Duclos, conservateur au Musée de la Résistance et de la Déportation de l'Isère, le musée sert autant d'avertissement que de vecteur d'utopie. En France, ce type de musées, souvent situés sur un lieu symbolique (camp pour le Struthof, lieu d'exécution - La Citadelle de Besançon -, de combat - le Vercors) semble plus développé dans le Sud et dans l'Est.


A l'inverse, en Italie, l'absence d'une mémoire résistante ou déportée forte et les liens ténus entre la Résistance et l'identité nationale, l'absence de consentement politique également, ont bloqué la création de musées à caractère associatif. Pour Ersilia Alessandrone Perona, de l'Institut d'histoire de la Résistance et de la société contemporaine de Turin, la recherche historiographique et anthropologique de l'après 1968 a davantage encouragé une approche décentralisée et comparative, centrée sur l'histoire des communautés.

L'oubli.

A l'heure où les derniers témoins disparaissent - avec eux une parole et une mémoire singulière -, où les associations issues de la Résistance et de la Déportation se dissolvent peu à peu - et ce ne sont pas que les structures qui disparaissent, ce sont aussi les engagements, la camaraderie, le militantisme et les luttes d'après-guerre, parfois cinquante-soixante années d'amitiés profondes nouées -, il convient de repenser les formes de transmission en abordant ce moment de transition avec la pleine conscience de ses enjeux (7). Pour Elizabeth Pastwa, conservateur au Musée de la Résistance et de la Déportation de Besançon (8), " tourner la page " est nécessaire, comme il est nécessaire de poser la " question de la mémoire et de l'oubli".

Concrètement c'est penser au devenir du patrimoine de ces associations ou de ces musées, à leurs archives et à leurs collections. Ainsi, l'association fondatrice du musée de Besançon a prévu la cession de ses collections à la Ville de Besançon. Mais c'est aussi s'interroger sur les nouvelles fonctions des musées, qui peuvent aussi être touristiques et commerciales, savoir qu'il faut s'adresser (attirer ?) à un public qui ne connaît pas forcément la période de la Seconde Guerre mondiale. Comment faire face à l'oubli, comment maintenir les traces, comment entretenir une cohésion, transmettre des valeurs, une identité commune ?

Scénographies, muséographies et historiographies.

L'histoire.

Ces questions, certains musées les prennent à bras le corps, cherchent à les résoudre, en conjuguant lieu d'histoire et de mémoire, en réfléchissant au rapport entre la mémoire collective, parcellaire, et l'histoire, le savoir historique. Comment représenter, " mettre en scène " les enjeux de mémoire, les questions identitaires, les approches historiographiques de la Seconde Guerre mondiale ?
A cet égard l'exposition " Tout n'était pas si simple que ça " présentée au Musée d'Histoire de la Ville de Luxembourg (9)et élaborée par Marie-Paule Jungblut, historienne-conservatrice, elle-même entourée d'une équipe composée d'un linguiste, d'un psychiatre, d'un muséographe et d'un compositeur, propose une réponse originale, qui finalement interroge. Structurée autour d'une dizaine de questions - Le Luxembourg et la Shoah ? Comment porter l'uniforme allemand ? Le rire est-il le propre de l'homme ?, etc. -, cette exposition questionne les liens qu'entretient la communauté luxembourgeoise à son histoire contemporaine : quelles traces la Seconde Guerre mondiale laisse-t-elle dans la société luxembourgeoise ? Dans la scénographie, les traces d'une mémoire publique (par la mise en opposition d'objets et d'images symboliques : les uniformes allemands avec un tract clandestin, par exemple) sont confrontées à la mémoire savante, à d'autres réalités, pour en révéler les ambiguïtés, en supprimant l'effet de fascination d'images prises isolément. L'objectif étant de provoquer le trouble dans l'esprit du visiteur et donc de l'amener à s'interroger sur l'histoire de son pays.


De façon plus conventionnelle, quelques musées cherchent la solution à la question de la transmission dans un élargissement, tant chronologique que géographique. Certains musées optent pour la dimension comparative et, privilégiant une thématique particulière, élargissent la période de la Seconde Guerre mondiale en amont ou en aval. Tel est le cas du Mémorial de Caen, présenté par son conservateur Jean-Paul Le Maguet, musée qui propose une ouverture sur la Guerre froide, ou encore l'exposition sur l'Holocauste inaugurée en juin 2000 à l 'Imperial War Museum de Londres (10), qui a élargit la thématique aux crimes contre l'humanité et à la notion de responsabilité internationale face à d'autres génocides (Rwanda, Cambodge, etc.) (11).


L'élargissement peut être aussi géographique, comme l'ont montré Yves le Maner, directeur du Centre d'Histoire et de Mémoire du Nord-Pas-de-Calais-La Coupole, musée centré sur l'histoire militaire et ses techniques ainsi que sur celle de la déportation, en relation étroite avec des musées étrangers (britanniques, allemands, belges). C'est aussi le cas du projet de centre européen du résistant-déporté dans le système concentrationnaire nazi du Struthof, présenté par Olivier Lalieu, et dont l'intention serait par ailleurs, en plus de son exposition permanente, de représenter des exemples significatifs de la diversité des engagements contre le nazisme.

Le projet de Centre muséal du Chambon-sur-Lignon, présenté par Yolande Pinos (12), s'inscrit dans ce champ d'une histoire comparative, en s'appuyant sur les travaux issus du colloque de 1990 (13), et en prenant pour exemple l'Historial de Péronne. Il s'agirait, à partir de l'histoire singulière du Plateau du Vivarais, de traiter la question de la diversité des formes et des actes de résistance, ce qui oblige à penser à une muséographie " novatrice ".


L'ouverture à d'autres conflits, les élargissements chronologiques et géographiques, les approches comparatives, destinés à répondre à l'évolution et la diversification des publics, s'appuient sur des recherches historiographiques, qui orientent la scénographie des musées. Toutefois, projeter sur les cimaises d'un musée une certaine approche historiographique, n'est-ce pas aussi donner au public une certaine lecture de l'histoire, en oubliant peut-être la singularité des événements ? Pourquoi ne pas mettre en scène dans un même espace des approches historiographiques différentes, inviter ainsi le visiteur à les confronter, et à susciter sa réflexion ?

Cécile Vast

NOTES
1. Syndicat Intercommunal à Vocation Multiple.
2. " Résistances civiles, rafles, refuges. Le cas du Plateau Vivarais-Lignon dans les années 1940 ".
3. Le présent compte rendu ne traitant que de la première journée, nous nous permettons de renvoyer le lecteur à la bibliographie indicative proposée en annexe.
4. Au Chambon-sur-Lignon, Pierre Sauvage, auteur du film " Les armes de l'esprit " est à l'initiative d'un autre projet
5. Titre emprunté au livre de Paul Ricoeur, op. cit. Paul Ricoeur était le président d'honneur de ces journées d'étude. Paul Ricoeur a été professeur au Collège cévenol du Chambon.
6. Musée mémorial des enfants d'Izieu : " Comment agréger histoire locale et histoire nationale ? "
7. Enjeux multiples (moraux, psychologiques, affectifs, mémoriels, matériels) que ne peuvent contourner ni les musées, ni les associations, encore moins les fondations en charge de l'héritage moral et juridique de ces associations
8. Musée de la Résistance et de la Déportation, Besançon : " Vers une histoire plus large ? "
9. Jusqu'en novembre 2002.
10.Suzanne Bardgett, " Dernières nouveautés à l'Imperial War Museum ".
11. Elargissement qui sont aussi ceux, militants, de la plupart des associations d'anciens déportés (FNDIRP, UNADIF, ADIR, Fondation pour la Mémoire de la Déportation, etc.).
12. Projet de Centre muséal du Plateau Vivarais-Lignon : " Vers une histoire plus large ? "
13. cf. bibliographie

Bibliographie indicative

Sur les musées

Des Musées d'histoire pour l'avenir, Paris, Noêsis, Péronne, Historial de la Grande Guerre, 1998
• GERVEREAU (Laurent) [dir.], Quelles perspectives pour les musées d'histoire en Europe ?, actes du colloque, Musée national des arts et traditions populaires, 4-6 mai 1994, Paris, Association internationale des musées d'histoire, 1997, 176 pages.
• WOLIKOW (Serge) [dir.], Les images collectives de la Résistance, Territoires contemporains, Cahiers de l'IHC, n°3, Editions universitaires de Dijon, 1997, 158 pages.
" ... et wor alles net esou einfach. " Questions sur le Luxembourg et la Deuxième Guerre mondiale / Fragen an die Geschichte Luxemburgs im Zweiten Weltkrieg, catalogue de l'exposition du Musée d'histoire de la Ville de Luxembourg, Luxembourg, 2002, 377 pages
Politique et musées, L'Harmattan (Coll. Patrimoines et Sociétés), 2002, 382 pages.

Sur l'histoire

• JOUTARD (Philippe) [dir.], Cévennes, terre de refuge 1940-1944, textes rassemblés par Philippe Joutard, Jacques Poujol et Patrick Cabanel, Montpellier, Presses du Languedoc, 1987, 358 pages.
• BOLLE (Pierre) [dir.], Le Plateau Vivarais-Lignon : accueil et résistance, 1939-1944, actes du colloque du Chambon-sur-Lignon, Société d'Histoire de la Montagne, 1992, 697 pages.
• RICoeUR (Paul), La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000, 676 pages.
• LABORIE (Pierre), " Silences de la mémoire, mémoires du silence " in Les Français des années troubles, Paris, Desclée de Brouwer, 2001, pp. 53-71.


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