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Nom de code: Brutus. Histoire d'un réseau de la France Libre


Jean-Marc Binot et Bernard Boyer
Paris, Edition Fayard, 2007, 483 pages

Le réseau Brutus est un des plus importants et plus anciens réseaux de renseignements de la France Libre, fondé dès 1940 par Pierre Fourcaud et ayant compris plus de 1000 agents homologués. Cette monographie stimulante et fouillée - dont un des deux auteurs est le fils d'André Boyer - nous apprend beaucoup sur tous ceux et celles qui contribuèrent à la durée de vie exceptionnelle de ce réseau - dont Pierre Sudreau. S'appuyant sur toutes les sources disponibles (dont les archives du Bureau Résistance), les auteurs relèvent en particulier le pourcentage important de femmes (20%), qui s'explique notamment par l'engagement de nombreux couples.

Mais Brutus n'est pas un réseau comme les autres et l'un des principaux apports du livre réside dans les détails qu'il livre sur son caractère si singulier. Il faut se rappeler que Pierre Fourcaud, envoyé en 1940 par Passy en zone sud avec une mission de renseignement, est revenu quelques mois plus tard, chargé par de Gaulle lui-même de créer des " comités anti-Pétain ".  Cette ambiguïté originelle peut expliquer que l'organisation mise en place par Fourcaud en 1941 ne soit ni spécialisée ni cloisonnée,  comme on s'y attendrait : elle pratique à la fois le renseignement (avec l'équipe de Roger Warin) et l'évasion (filière de Herpin et Bruneau dans les Pyrénées orientales). En fait, il ne s'agit pas encore d'une organisation unique mais d'une structure " en rateau ", avec une seule tête (Fourcaud) et des groupes non coordonnés entre eux. D'autre part, elle recrute au sein d'autres groupes eux-mêmes en formation : le groupe Liberté à Marseille, la 7e colonne d'Alsace, et surtout  le Comité d'action socialiste de zone sud.

C'est en 1942 que l'organisation prend véritablement son essor (la chronologie des engagements de ses membres l'atteste) tout en se structurant :  à l'instigation du BCRA, Boris Fourcaud (successeur de son frère Pierre) et son adjoint André Boyer séparent renseignement  et action, cette deuxième branche étant confiée au colonel Jean Vincent (Véni). Par ailleurs, l'activité renseignement s'étend en zone occupée, organisée par Jacques Bouchez, puis le docteur Poupault.

Mais Fourcaud et Boyer ne se cantonnent nullement à leur mission militaire : en mai-juin 42, ils envoient à Londres des propositions qui constituent le premier projet d'un organe unifié de la Résistance incluant les partis politiques d'avant-guerre, et qui sont une des sources du CNR. Connue depuis longtemps, cette initiative  s'explique par le recrutement privilégié du réseau au sein d'anciens militants socialistes ou syndicalistes, mais aussi - les auteurs nous l'apprennent - parfois radicaux. Elle s'éclaire mieux par les rencontres que rapportent les auteurs entre Boyer et les syndicalistes Edmond Jouhaux, Yvon Morandat (envoyé de la France libre) ou le président de la Fédération radicale-socialiste des Bouches-du-Rhône  - mais aussi par ses contacts avec les chefs des grands mouvements de zone sud (Frenay, d'Astier, J.-P. Levy), dont les tentatives de rapprochement connaissent au même moment de graves difficultés.

C'est en bon connaisseurs de l'état des forces et des composantes de la résistance de zone sud que Fourcaud et Boyer continueront leur rôle " politique " - sans tenir compte des injonctions du BCRA. En décembre 1942, ils tentent vainement de convaincre Manuel et Jean Moulin d'admettre un représentant des socialistes au sein du Comité central des mouvements de zone sud.  Ils partent à Londres en janvier 1943, où Boyer remet à nouveau un rapport sur la situation des partis politiques en France. L'histoire " politique " du réseau Brutus (pseudo de Boyer, qui en 1943 devient le 3e chef du réseau) ne fait que commencer, puisqu'il finira par avoir un représentant au comité directeur des Mouvements unis de Résistance, organe éminemment politique, et que sa branche action, les groupes Véni, se rattachera au parti socialiste reconstitué. 

Bruno Leroux