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Les courants politiques et la Résistance : continuités ou ruptures ? Actes du colloque international, Esch-sur-Alzette, avril 2002, Grand -Duché du Luxembourg,


(collectif)
Luxembourg, Edition Archives Nationales, 2003, 581 pages

Organisé en avril 2002 à Esch-sur-Alzette (Luxembourg) par les Archives nationales du Luxembourg, le CEGES de Bruxelles et le Centre Universitaire de Luxembourg, le colloque "Les courants politiques et la Résistance : continuités ou ruptures ?", dont les actes viennent de paraître, aborde dans une perspective comparative la Résistance et l'occupation allemande dans divers pays (Luxembourg, Belgique, Pays-Bas, Allemagne et France) sous l'angle des continuités ou des ruptures - politiques, sociologiques, idéologiques - avec l'avant et l'après-guerre.

Si une grande partie des communications est consacrée à la situation du Luxembourg sous l'occupation allemande, aux comportements politiques et idéologiques de ses habitants, et à l'étude des engagements luxembourgeois contre l'occupant allemand, donnant ainsi au lecteur français de précieux éclairages sur une histoire méconnue, ce colloque propose aussi une mise en perspective sur le moyen et le long terme de la Résistance française, de ses multiples acteurs, de ses structures, de ses idées, de ses valeurs et de ses projets. Enfin un certain nombre d'études à caractère historiographique sur la notion de "résistance" apportent une réflexion neuve sur la mémoire et l'écriture de l'histoire de la Résistance.

La mémoire et l'écriture de l'histoire de la Résistance

Si elle a été traitée par les communications de José Gotovitch ("La Résistance après-guerre en Belgique : héritage glorieux ou fardeau encombrant ?") et d'Alya Aglan ("De la Résistance aux Résistances : la "notion de résistance" vue par les historiens français"), Laurent Douzou ("La mémoire de la Résistance dans la France d'après-guerre") brosse un tableau très complet de l'historiographie de la Résistance, telle qu'elle a été conçue et menée entre 1944 et 1974. S'interrogeant aussi sur les conditions de production et d'écriture d'une histoire dont les témoins et les acteurs avaient la plus vive conscience de sa singularité.

Scandée par trois grands moments (1952, 1964 et 1974), l'écriture de l'histoire de la Résistance a été portée dès la Libération par deux "groupes" d'anciens résistants, les uns participant à l'entreprise collective d'histoire dirigée par Henri Michel, les autres écrivant et publiant leurs propres mémoires, et parfois menant, sans contradiction aucune, les deux activités. "Quelques idées-forces guidèrent les témoins, explique Laurent Douzou : conjurer l'anéantissement d'une mémoire d'autant plus vulnérable qu'elle portait sur des faits clandestins ; commémorer le souvenir des morts ; porter la parole des acteurs ; défendre les valeurs de la Résistance ; préserver la dimension intime et privée d'une histoire passionnelle et passionnée." En 1944 et 1945 deux institutions ayant pour vocation d'écrire l'histoire de la Résistance, sont créées, bénéficiant toutes deux de la caution des plus hautes autorités de l'État et de l'Université : la Commission d'Histoire de l'Occupation et de la Libération de la France (CHOLF, octobre 1944) et le Comité d'Histoire de la Guerre (juin 1945). Les deux institutions fusionnent en 1951 au sein du fameux Comité d'Histoire de la Seconde guerre mondiale (CH2GM), présidé dans un premier temps par l'historien Lucien Febvre. Henri Michel, historien et ancien résistant, en devient le Secrétaire général.

Outre la constitution d'archives administratives, ces instances se donnent pour tâche de recueillir les témoignages des acteurs de la Résistance, en créant par cette collecte le matériaux d'une histoire à venir et à écrire. Les enquêteurs, les "correspondants départementaux", obligatoirement recrutés parmi les anciens résistants (censés ainsi mieux comprendre l'expérience des témoins interrogés), doivent procéder à la manière d'une enquête policière, la démarche, presque "positiviste", ne prend alors pas en compte les problèmes de méthode posés par les effets de reconstruction de la mémoire. Laurent Douzou cite les conseils donnés aux enquêteurs par Henri Michel en 1949 :

"Après avoir "déblayé" au cours d'un premier entretien, il soumet la première rédaction à sa victime - sic - au cours d'une deuxième entrevue ; puis il compare les déclarations ainsi faites avec celles des autres témoins ; il revient à la charge, plus riche encore en renseignements de toutes sortes et, par pressions successives, il arrive à faire rendre aux témoins tout le suc de vérité qu'ils contiennent".

Une telle conception de l'enquête et de la constitution d'archives orales a eu des conséquences sur la façon dont a commencé de s'écrire l'histoire de la Résistance dans ces années d'immédiat après-guerre ; elle aurait pu se réduire à une chronique, si en 1952 Henri Michel n'avait pas pris conscience des écueils d'une telle démarche. Parallèlement, les témoins se sont mis à écrire "leur" histoire. Aussi, en 1964, dans sa Bibliographie critique de la Résistance, Henri Michel plaide-t-il la nécessité de développer les études de mouvements, de réseaux, études auxquelles les acteurs doivent continuer à être associés.

En 1974, l'écriture de l'histoire de la Résistance revêt de plus en plus un caractère scientifique ; à la suite du colloque sur la Libération de la France organisé par le CH2GM, le fossé entre mémoire résistante et écriture scientifique de la Résistance se creuse, la première accusant la seconde d'être froide et désincarnée.

Le Luxembourg sous l'Occupation, la Résistance luxembourgeoise

Concernant l'histoire du Luxembourg sous l'occupation allemande, un certain nombre de communications ont analysé à la fois l'ancrage politique et idéologique de la Résistance, ainsi que ses motivations et valeurs, et les comportements des divers courants politiques de la société luxembourgeoise pendant la guerre.

Dans un premier temps, Jacques Maas ("L'identité nationale luxembourgeoise : enjeux idéologiques et politiques dans la société de la première moitié du XX° siècle") a montré comment l'identité nationale luxembourgeoise s'est progressivement construite au cours de la première moitié du XX° siècle. Contrairement à la France qui vit dans les années trente une véritable crise d'identité nationale, le Luxembourg bénéficie d'un consensus identitaire entre la droite modérée, la gauche, et la société luxembourgeoise, autour des institutions monarchiques et de l'instauration du suffrage universel. Alors qu'au début du siècle les Luxembourgeois n'adhéraient pas à la monarchie, la forte identification patriotique à l'État caractérise le petit pays à la veille de la Seconde Guerre mondiale. La gauche a permis l'intégration du monde ouvrier à la nation, aux institutions et à l'idée de démocratie sociale, tandis que la droite adhère également aux mêmes institutions et "nationalise" la dynastie. Aussi lorsque le Gauleiter Gustav Simon met en place en août 1941 une "administration civile" au Luxembourg et organise en 1941 un référendum pro-allemand, les Luxembourgeois réagissent en marquant leur attachement à l'identité nationale, et rejettent ce référendum.

Toutefois le patriotisme a-t-il été le seul moteur d'un engagement d'opposition ou de résistance à l'occupation allemande au Luxembourg ? Les Luxembourgeois ont-ils combattu cette occupation pour des raisons patriotiques ou / et idéologiques ? L'étude de Serge Hoffmann ("La population luxembourgeoise face au régime et à l'idéologie nazis : résignation ou résistance ?") revient sur le contexte de l'occupation par les allemands du Luxembourg. Rattaché au Reich allemand par une annexion forcée, le Luxembourg se voit imposer, de fait, une administration civile allemande dès août 1940. Avec l'installation d'un Gauleiter, Gustav Simon, les institutions démocratiques sont supprimées, de même que les associations, les partis politiques et diverses organisations confessionnelles. Cette situation d'annexion explique en grande partie le caractère essentiellement patriotique de l'opposition à l'occupant allemand. Par ailleurs l'annexion s'accompagne d'une mise en place au Luxembourg de l'idéologie nazie, les lois de Nuremberg sont introduites en septembre 1940. Face au régime nazi, les Luxembourgeois prennent progressivement conscience de son caractère anti-démocratique ; cette prise de position se traduit par l'expression "notion de liberté", exprimée dans la presse clandestine. La résistance communiste, mais aussi un mouvement de résistance (l'ALWERAJE), diffusent des opinions non exclusivement patriotiques. Pour ce qui est des Luxembourgeois, l'introduction de l'idéologie nazie a suscité également des réactions d'hostilité. Ainsi le refus par les enseignants et les étudiants de l'endoctrinement nazi dans l'enseignement a été relativement important.

Après-guerre la plupart des mouvements de résistance (pour l'essentiel marqués à droite) se sont regroupés au sein de l'UNION ; ce mouvement, fondé sur un programme national et chrétien, a dominé la vie politique et a pu ainsi donner une image "patriotique" du combat résistant. La faible participation des mouvements issus de la gauche (antifasciste, démocratique), et la marginalisation des communistes après 1947 dans la vie politique d'après-guerre explique aussi cette sur-représentation du patriotisme dans les motivations de l'opposition à l'occupation allemande.

La Résistance française dans ses milieux : ruptures et continuités

Quelles ont été, d'un point de vue politique et sociologique, les ruptures et les continuités de la Résistance française avec l'avant et l'après Seconde Guerre mondiale ?

Dans son article Jean-Marie Guillon ("Droites et gauches dans la France des années trente et quarante : crises, recompositions et tradition républicaine") interroge le rapport entre la Résistance et la République, ou le "modèle républicain", et explique que le "mouvement de républicanisation est l'un des phénomènes politiques majeurs et les plus significatifs concernant l'évolution de la Résistance intérieure et de la France libre". De fait, qu'il s'agisse des premiers mouvements et réseaux de la zone occupée et de la zone libre, la plupart se caractérisent pas des idées anti-républicaines, nationalistes ("Ceux de la Libération", Confrérie Notre Dame), un certain attachement soit à la Révolution nationale (Henri Frenay), soit au maréchal Pétain ("Défense de la France"). C'est par le recrutement et le développement des activités que les anciens réseaux politiques d'avant-guerre, laïcs et républicains, prennent le relais, et influent sur l'évolution politique de ces quelques mouvements, ainsi que sur celui de la France libre. Parmi ces militants de nombreux socialistes. Comment expliquer, alors qu'ils étaient discrédités, la renaissance des partis politiques, notamment à travers la création du CNR, la formation de l'Assemblée constitutive d'Alger et la constitution des Comités Départementaux de Libération ? Pour Jean-Marie Guillon, la forte présence du Parti communiste (Front national) d'une part, a obligé les mouvements non-communistes à accepter la nécessité d'une renaissance des partis politiques. Par ailleurs, par rapport aux Alliés, il a fallu à la France libre acquérir une légitimité démocratique, par la reconnaissance de partis. Enfin, il a fallu également à certains résistants se démarquer du giraudisme. "Le problème qui se pose aux approches de la Libération, écrit-il, n'est plus celui de la place des partis dans la démocratie restaurée, mais la place que les résistants et les mouvements occuperont dans cet espace politique. [...] L'échec de la transformation des mouvements en forces politiques nouvelles à la Libération n'est pas l'échec de "la Résistance" comme on ne cesse de la répéter depuis que les résistants exclus du jeu l'affirment, il souligne simplement que la Résistance était très majoritairement composée de gens qui se reconnaissaient dans les structures partisanes, légitimes, à partir du moment où la République était rétablie". Ce qui représente bien une continuité avec l'avant-guerre, et l'après-guerre. À la Libération, le poids des partis politiques (socialistes, communistes, MRP), traduit d'abord une mutation démocratique et une adhésion profonde des Français aux objectifs communs et aux projets d'avenir portés par ces partis, et par la Résistance qui a prolongé le modèle républicain.

Concernant les relations de la Résistance à son environnement social ou celles que la société établit avec la Résistance, François Marcot ("Le monde rural et la Résistance française") propose une approche sociologique englobante, en système, analysant les rapports entre le monde rural, sa culture et ses représentations, et la Résistance à travers la multiplicité des facteurs, des lieux et des situations qui les ordonnent, dans le temps court et changeant de la période de l'Occupation. "Pour les communautés rurales, une césure s'impose, celle de la lutte contre le travail en Allemagne, fin 1942-début 1943. Toutes les études régionales le montrent, avant cette date, les relations entre la Résistance t le monde rural sont limitées tandis que, dans la période qui suit, on assiste à une ruralisation de la Résistance." Jusqu'en 1942, Résistance et monde rural s'ignorent réciproquement, globalement, tant il est vrai que les premières formes de résistance sont essentiellement urbaines, et que le monde paysan adhère à la figure du maréchal Pétain et au mythe du double-jeu. Cependant d'autres formes de résistance (réseaux de passeurs, d'évasion) font très vite appel au monde rural, qui répond favorablement, même si le phénomène reste minoritaire. De fait le monde rural entre tardivement dans la Résistance et reste sous-représenté à ses débuts. S'il est vrai que les paysans adhèrent massivement au Maréchal, certains premiers résistants aussi. Pour François Marcot cette sous-représentation n'est pas seulement fondée sur des idées et des valeurs, des intentions (intentionnalité), elle s'explique aussi par le fait que la Résistance n'avait pas besoin des paysans (fonctionnalité), jusqu'en 1942. Avec les lois du 4 septembre 1942 puis l'instauration du STO en février 1943, tout change ; les victimes se trouvent dans les communautés rurales. Les paysans, face au STO, se trouvent confrontés à la nécessité du choix, aider, ne pas aider les réfractaires, et dans l'obligation urgente de trouver des solutions immédiates. Pourtant, pour ces paysans, passer de la solidarité envers les maquis de réfractaires, à l'acceptation de la lutte armée des maquis combattants (et à ses conséquences immédiates, la répression), est difficile. L'engagement dans des actions de résistance dépend de multiples facteurs, où se mêlent crainte et peur, espoir, désespoir et moments d'attente (celui du débarquement à l'automne 1943, dépression et vide de l'hiver 1943-1944), incertitude ou confiance dans les actions de la Résistance, risques encourus, hiérarchie des préoccupations, intériorisation de pratiques de solidarité, coexistence de sentiments et d'aspirations contradictoires. "Ce n'est pas parce que l'on est hostile aux Allemands et opposé à un Gouvernement perçu comme collaborateur que l'on est pour la Résistance et moins encore dans la Résistance. Au demeurant, il est fréquent que l'on soit avec la Résistance en ayant peur de ses actions et des représailles qu'eles peuvent attirer. Du rejet à la solidarité, de la crainte à l'espoir, on observe une grande variété de réactions qui, certes, évoluent dans le temps en faveur de la Résistance, mais se surajoutent plus qu'elles ne se succèdent."

Cécile Vast

Sommaire de l'ouvrage

Jacques Maas
"L'identité nationale luxembourgeoise: Enjeux idéologiques et politiques dans la société de la première moitié du XXe siècle"
Lucien Blau
"Idéologie et discours politique de la Droite et de l'Extrême Droite au Luxembourg au cours des années 30 et 40"
André Grosbusch
"L'église catholique face aux défis de la politique nationale et internationale des années 30 et son apport à la Résistance sous l'Occupation"
Ben Fayot
"Les socialistes luxembourgeois face au fascisme, au national-socialisme et à l'extrême-droite dans les années 20 et 30: Construction d'une nouvelle identité"
Henri Wehenkel
"De la prise de conscience antifasciste à la résistance active"
Jean Marie Guillon
"Droites et gauches dans la France des années 30 et 40: Crises, recompositions et tradition républicaine"
Catherine Lanneau
"Un "Front populaire" en Belgique. L'inexportable exemple français"
Wichert Ten have
"Kritik und Stabilität der Demokratie in den Niederlanden (1930-1945)"
Alya Aglan
"De la Résistance aux Résistances : la "notion de résistance" vue par les historiens français"
Dominique Veillon
"Les villes dans la Résistance française"
François Marcot
"Le monde rural et la Résistance française"
Alain Colignon
""Résistance" : un concept entre permanence et glissements"
Fabrice Maerten
"Les courants idéologiques et la Résistance belge - Une adhésion limitée"
Francis Balace
"Le thème autoritaire dans la Résistance belge : De "l'ordre national" au "retour à la démocratie"
Paul Dostert
""Vive Letzebuerg - Vive Charlotte" : La Résistance patriotique contre l'occupant allemand (1940-1945)"
Serge Hoffmann
"La population luxembourgeoise face au régime et à l'idéologie nazis : résignation ou résistance?"
Marc Limpach et Marc Kayser
"Albert Wingert : Fallstudie über Ursprung und Beweggründe antifaschistischen Widerstands"
Peter Steinbach
"Definitionen des Widerstandes gegen den Nationalsozialismus im Spannungsfeld der deutschen Nachkriegsgeschichte"
Peter Steinbach
"Widerstand gegen die nationalsozialistische Diktatur - Hauptgruppen und Grundzüge des Systemopposition im Dritten Reich"
Laurent Douzou
"La mémoire de la Résistance dans la société française d'après-guerre"
José Gotovitch
"La Résistance après-guerre en Belgique : héritage glorieux ou fardeau encombrant ?"
Marc Schoentgen
"Die Resistenzorganisationen in Luxemburg nach dem 2. Weltkrieg"
Alex Reuter
"Die Jugend und due Erinnerung an die Resistenz"

Éditeur : ARCHIVES NATIONALES LUXEMBOURG
Boîte postale 6
L-2010 Luxembourg