Rechercher dans le site :
Actualit�sLettre d'informationContactPlan du siteSummaryMarquer cette page

Jacques Decour. L'oublié des Lettres françaises. 1910-1942. Biographie


Pierre FAVRE
Tours, Edition Farrago- Editions Léo Scheer, 2002, 379 pages

Jeune professeur, passionné de culture allemande, Jacques Decour a choisi de combattre pour que la littérature française continue à " vivre " malgré l'occupant et les exigences de Vichy. Son combat pour une pensée libre lui a coûté la vie. Arrêté par la police française, à l'âge de 32 ans, il fut fusillé par les nazis au Mont-Valérien.

Daniel Decourdemanche - son vrai nom - est né à Paris en 1910. Après ses études aux lycée Carnot et Pasteur il se passionne pour la littérature allemande et abandonne le droit (son père voulait qu'il lui succède et devienne agent de change). Sa licence d'allemand obtenue, il est nommé en Prusse, comme assistant de français au lycée de Magdebourg. Il ramène de ce séjour un livre Philisterburg qui sera publié par la NRF et qu'il signe du pseudonyme de Jacques Decour. Depuis quelques années il collabore déjà à la NRF dont il est le plus jeune rédacteur.

Ce livre prémonitoire fait scandale dans une France qui refuse de s'inquiéter. Nous sommes en 1932. Decour entrevoit le nazisme en gestation " le mythe inadmissible de la race ". Sa passion pour la culture allemande, ses chers auteurs (Goethe, Heine) lui laissent encore l'espoir d'un rapprochement franco-allemand et même des États-Unis d'Europe ! (déjà ...).

Reçu à l'agrégation en 1932, il est nommé dès la rentrée au lycée de Reims et s'éloigne des milieux littéraires qu'il fréquentait à Paris. Il adhère aux Jeunesses communistes mais milite peu. Au moment du Front Populaire il est nommé à Tours, entre au Parti communiste et se donne à toutes les tâches du militant de base. " Il croit au bonheur, à la science, au progrès ". Il découvre les humbles dont sa jeunesse bourgeoise l'a éloigné. Il tente de faire partager à ses compagnons sa passion pour les livres et crée une maison de la culture. " Traquer l'obscurantisme, éduquer- je suis de ceux qui croient que les opinions engagent ".

En 1937, il devient professeur au lycée Rollin, à Paris (lycée qui, à la Libération, deviendra le lycée Jacques Decour). Il reprend avec enthousiasme son enseignement de l'allemand. Il retrouve l'université ouvrière et milite avec ses deux compagnons de route, Georges Politzer, le philosophe, et Jacques Solomon, le physicien. Il reste un germaniste fervent, témoin ce numéro de Commune consacré en 1939 à l'humanisme allemand. " Il ne faut pas oublier que c'est à toute la littérature allemande qu'Hitler a déclaré la guerre. "

Sa liberté de jugement peut le mettre en difficulté avec tout l'appareil communiste : il n'approuve pas le Pacte germano-soviétique qui entraîne l'interdiction du parti. Après la démobilisation qui a suivi la " drôle de guerre " il retrouve son lycée. Dès lors sa résistance, le cadre de son combat sera celui de l'esprit. Avec ses deux compagnons il participe à la création et à la rédaction de L'université libre en 1940 et 1941 La Pensée libre qui sera la plus importante publication de la France occupée. Il y écrit des textes de combat, rédige des tracts en allemand pour les troupes d'occupation " la littérature doit continuer " malgré la dérive de quelques écrivains français attentifs aux sirènes de la propagande allemande.

Dès 1941 le Front National se structure dans la résistance et Decour prend en charge le Comité national des écrivains. Il y faudra un organe. Un groupe se forme, imagine une publication ouverte aux écrivains qui résistent, Blanzat, Martin Chauffier, Éluard, Guehenno, Paulhan. L'idée des Lettres françaises est née. Decour s'engage alors à corps perdu tout en continuant son métier d'enseignant, un travail qui a toujours eu la priorité. Jamais il n'a négligé ses élèves, c'est d'ailleurs à eux qu'iront ses dernières pensées. Il établit le sommaire, réunit les manuscrits et enfin engage la fabrication, Paulhan réunissant les fonds. Mais ce premier numéro ne verra pas le jour puisque le 17 février 1942 Decour est arrêté par la police française. Remis aux allemands il fut fusillé le 30 mai 1942, une semaine après Politzer et Solomon. Il avait 32 ans.

Au-delà d'une biographie très documentée, enrichie de documents familiaux c'est un portrait vivant que Pierre Favre nous livre. Ainsi est réparé l'injuste oubli qui a entouré Jacques Decour dans la création des Lettres françaises : mais sa mort prématurée l'aura empêché de voir paraître le premier numéro.

Claire Richet

Rappelons aussi la réédition chez ce même éditeur de deux ouvrages de Jacques Decour Le Sage et le caporal suivi de Les Pères et de sept nouvelles inédites (333 p., 20 €)

© Fondation de la Résistance
Tous droits réservés