Résistance et Liberté. Dieulefit 1940-1944. Préface de Pierre Bolle
Sandrine SUCHON 9, rue Saint-Vincent, 26150 Die, Edition A Die, 1994, 204 pages
C'est une belle histoire à laquelle nous convie Sandrine Suchon, une histoire initiée par des femmes. Celle d'un petit bourg de la Drôme : Dieulefit, trois mille cinq cent habitants en majorité des paysans, des ouvriers du textile et des potiers, qui accueillit pendant les années noires un grand nombre d'hommes, de femmes et d'enfants français, polonais, belges et allemands en majorité juifs fuyant les nazis et les nouvelles lois raciales de Vichy. Au cours de ces années, de nombreux intellectuels rejoindront cette " oasis de paix " situé dans la Drôme, entre la Provence et le Dauphiné, à une soixantaine de kilomètres d'un massif dont le nom est resté dans la mémoire, celui du Vercors.
Trois femmes admirables : Marguerite Soubeyran protestante, fondatrice de l'école de Beauvallon, spécialisée pour enfants caractériels, consciente dès le milieu des années trente du danger que représente la montée du nazisme, Catherine Krafft, genevoise et protestante, sensibilisée aux malheurs des réfugiés par son père qui s'occupait des Arméniens, et enfin Simone Monnier dont le père est pasteur, et vont offrir dans l'école de ce petit bourg, aux réfugiés un accueil exemplaire. Tant bien que mal au prix de mille difficultés matérielles ces femmes s'efforceront d'assurer une vie normale aux jeunes enfants afin qu'ils ne souffrent pas trop de la guerre.
Grâce à une autre femme courageuse Jeanne Barnier tous les réfugiés de Dieulefit et plus tard des maquisards de la région auront leurs " vrais faux papiers ", fabriqué par " cette virtuose du faux " sous l'aveuglement volontaire du maire, un temps plutôt maréchaliste. Quant aux adultes c'est dans une pension, située près de l'école, qu'ils sont accueillis par " l'oncle Emile, solide Lorrain et tante Jeanne, aux grands yeux rêveurs ... ".
Pierre Emmanuel et sa femme y séjourneront, Jean Prévost futur héros du Vercors et sa compagne Marcelle Auclair, le poète Pierre-Jean Jouve et sa femme, Andrée Violis " Globe-trotter" et journaliste seront durant ces années, les hôtes d'oncle Emile et de tante Jeanne. Fin 42 arriveront Emmanuel Mounier, Georges Sadoul, Henri-Pierre Roché l'auteur de Jules et Jim, tandis qu'Aragon et Elsa Triolet recherchés par la Gestapo y séjourneront quelques jours. Ainsi durant ces années ce petit bourg drômois deviendra-t-il une véritable capitale intellectuelle.
Tournant à l'automne 1942, si l'invasion de la zone libre par les Allemands inquiète, son premier effet est de resserrer davantage les liens de cette communauté, tissés depuis le printemps 40 à l'arrivée des premiers réfugiés entre les Dieulefitois et leurs hôtes, grâce à ces femmes exceptionnelles qui surent faire de ce petit bourg un havre de résistance, de liberté, et de tolérance. Au moment des grandes rafles de l'été 42 tous les réfugiés juifs et leurs enfants seront sauvés, et sous l'impulsion de ces femmes admirables de courage, un maquis va naître avec dans un premier temps des réfractaires au S.T.O., puis des contacts sont pris avec Alger et Londres, des terrains d'atterrissages reconnus et enfin le premier parachutage aura lieu le 23 novembre 1943. Les combats de la Libération pourtant violents dans toute la région épargneront miraculeusement Dieulefit.
Quelle belle histoire que celle de ce petit bourg, devenu à la fois terre d'asile et terre de résistance où se déroulèrent en parallèle des activités intellectuelles et artistiques intenses qui marquèrent durablement les Dieulefiltois et leurs hôtes. Pierre Emmanuel a écrit : " Dieulefit pendant ces quatre années, illustra consciemment la leçon de l'Epître aux Romains : Il n'y a ni Juifs ni Grecs sous le regard de Dieu ". A la fin du volume Sandrine Suchon publie des entretiens qu'elle conduisit à la fin des années 80 avec les témoins survivants de Dieulefit : Passionnant, a lire le plus vite possible.
Jean Novosseloff
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