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"La Provence, Vichy, l'Occupation: nouvelles recherches"


Collectif
Marseille, Edition Revue Provence historique, tome XLIII, fascicule 252, avril-mai-juin 2013, 288 pages

 

Ce dossier, constitué d'articles issus des travaux universitaires d'étudiants dirigés par Jean-Marie Guillon comprend en particulier une étude sur Mgr du Bois de la Villerabel, archevêque d'Aix-en-Provence (le seul archevêque sur les listes d'épuration) et un article très éclairant de « micro-histoire » sur la mémoire de la 2e guerre mondiale dans le village de La Tour d'Aigues, comparant avec finesse l'épisode magnifié du sauvetage d'aviateurs américains dans l'été 44 et l'arrestation oubliée de deux juifs à l'été 1942 par la gendarmerie française.

Le cœur de ce dossier est occupé par deux textes participant du renouvellement historiographique des études sur la répression mentionné par Jean-Marie-Guillon dans son introduction générale. Consacrés l'un à la Milice des Bouches du Rhône et l'autre à la 8e compagnie de la Division Brandebourg, leur intérêt n'est pas que régional. 

C'est en effet dans les Bouches-du-Rhône qu'a lieu le premier meurtre par la résistance d'un chef local de la Milice, le 24 avril 1943. Prétexte à obsèques solennelles et à un discours offensif de Darnand, il est surtout révélateur de l'isolement local de la Milice. La population lui a été hostile dès l'origine, voyant en elle l'auxiliaire de l'occupant alors même qu'elle ne l'est pas encore dans les faits : ses premières actions armées datent de la fin 1943. Pour autant qu'on puisse connaître ses effectifs (les chiffres sont peu fiables), elle semble connaître  de gros problèmes de recrutement, étant obligée de se séparer de nombreux éléments « douteux » au printemps 1943 et devant puiser, l'année suivante, dans les rangs du RNP voire chez des prévenus.

Surtout, son rôle répressif, réel en 1944, ne correspond que très partiellement à son image déplorable qui lui attribue toutes les exactions commises par les collaborateurs. Si ses services de renseignement et de sécurité opèrent en liaison avec la Sipo-SD, et si elle opère une dizaine d'interventions contre les maquis à l'été 1944,  l'acteur régional essentiel de la lutte contre les maquis est une unité très particulière : la 8e compagnie de la division Brandebourg.

L'appellation « division Brandebourg » dissimule en fait le service Action de l'Abwehr, créé en octobre 1942 pour lutter contre la Résistance, et dont l'essentiel des effectifs est destiné au front de l'Est. Un « bataillon » est dépêché en France en février 1943, et passe d'abord plusieurs mois à recruter localement au sein du PPF (en particulier parmi ses membres déjà enrôlés dans le service allemand de recherches des réfractaires) et à s'entraîner. Ses actions ne sont encore que très partiellement connues. Dans la thèse à paraître de Guillaume Vieira, ce sont les effectifs, les méthodes et les actions de la 8e compagnie, opérant principalement dans le Sud-Est, qui peuvent être retracées.

Le principe des « Brandebourg » est de conjuguer des éléments civils, chargés de se faire passer pour des réfractaires, des maquisards ou des aviateurs alliés, et des éléments militaires exécutant les opérations permises par les renseignements qu'on recueilli les premiers. L'infiltration de la population est une méthode fréquente et redoutablement efficace des services de répression en 1943-1944 pour détecter les rassemblements de réfractaires ou les maquis. C'est, par exemple, la spécialité du « SD-extérieur » décrit par Cédric Neveu en Moselle et qui utilise pour ce faire des agents français appointés (V-Mann). La 8e Cie Brandebourg y parviendra au point d'arrêter le Comité de Libération des Basses-Alpes, en se faisant passer pour un groupe de maquisards venus libérer Oraison.

Dans la 8e compagnie, les « militaires » sont aussi pour la plupart des Français, puisque son organisation repose sur le principe d'un encadrement allemand et d'une troupe « autochtone » (française surtout, mais aussi espagnole). Les cadres (une dizaine, dont plusieurs ont un doctorat) ont tous une expérience antérieure de la lutte anti-guérilla en Yougoslavie, à l'Est, voire auparavant en Espagne. C'est donc une unité hautement spécialisée qui est au cœur du dispositif coordonné de lutte contre les maquis dans tout le Sud-Est en 1944 : elle opère avec la Wehrmacht, la  Sipo-SD ou la GFP et intervient dans de nombreux départements de part et d'autre du Rhône, se faisant remarquer par sa violence. Elle inaugure les exécutions sommaires contre les maquisards dans le Sud de la France (à Signes, le 2 janvier 1944). Ces massacres atteindront un pic pendant l'été, où elle est sans cesse en action, systématiques contre les résistants mais incluant aussi des otages,  et souvent accompagnés de tortures. C'est en effet elle qui interroge en premier les personnes arrêtées, avec plus de férocité encore que la Gestapo (mutilations) ; elle incendie aussi de nombreuses fermes.  Au total, elle est responsable de 235 meurtres, rien qu'en Provence. La connaissance de cette unité est un exemple de plus du sens profond de la multiplication des services répressifs allemands en France occupée : elle obéit à une logique d'adaptation continue au terrain local et à l'évolution de la résistance, et la concurrence entre services y est bien moins importante que leur faculté à se coordonner, quels que soient les rapports de force internes, pour parvenir à une action cumulée.

Bruno Leroux