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Colloque soutenu par la fondation
Pourquoi Résister ? Résister pourquoi faire ?
Organisé par le Centre de recherche d'histoire quantitative de l'université de Caen - CNRS
Du 02/12/2004 au 04/12/2004 à Caen

Actes parus sous le titre: Pourquoi résister ? Résister pour quoi faire ?, Centre de Recherche d'Histoire Quantitative, CNRS-Université de Caen Basse Normandie, collection "Seconde Guerre mondiale" n° 6, Caen, 2006.

Les 2,3 et 4 décembre 2004, le Mémorial de Caen a accueilli un colloque international  , organisé par le Centre de recherche d'Histoire Quantitative de l'université de Caen et avec l'aide de la Fondation de la Résistance sur le thème "  Pourquoi résister ? Résister pour quoi faire ? " .

Plus de trente intervenants ont proposé une communication, abordant successivement les raisons de l'engagement dans la Résistance, le rétablissement de la légalité républicaine par les acteurs de cette Résistance, puis la confrontation de l'héritage résistant avec le contexte des années d'après guerre . Plusieurs communications avaient aussi pour objet d'inscrire l'exemple français dans une comparaison avec d'autres pays européens. S'interroger sur les postérités multiples, les traces et la portée de la Résistance , telle était la problématique d'ensemble à laquelle les historiens ont apporté des réponses , en offrant un éclairage avant tout sur la construction d'une ou de plusieurs mémoires de la Résistance dans la France contemporaine.

            Analyser l'héritage de la Résistance après 1945 ne peut se faire sans quelques précautions préalables, et ce fut tout le mérite d'Olivier Wieviorka que de rappeler cela dans l'introduction générale d'ouverture du colloque.

                        Questionner la Résistance en fonction du temps présent :

             Se demander quels furent les idéaux, les idées des résistants et ensuite s'interroger sur leur présence dans la France contemporaine oblige à revisiter l'histoire de la Résistance à la lumière de cette problématique, qui fait que cette période conserve une part d'actualité  comme l'ont rappelé Jacques Vistel et Victor Convert, respectivement vice-président et directeur général de la Fondation de la Résistance.

            Olivier Wieviorka a également précisé que les idées de la Résistance n'étaient pas forcément nouvelles, qu'il s'agissait pour beaucoup de restaurer la République et la démocratie,  et qu'en conséquence une fois la victoire acquise , il fallait " rentrer chez soi " avec le sentiment du devoir accompli. En réalité, peu l'ont fait et ils voulurent ensuite  intervenir au grand jour dans les affaires de la cité pour construire un nouvel avenir perpétuant l'esprit de la résistance.

            Remise en cause des idées politiques d'avant guerre , recherche d'un rôle nouveau de l'Etat, conversion à d'autres systèmes de pensée - tel le secrétaire de Jean Moulin, Daniel Cordier ,qui passa de l'Action française à un socialisme humaniste - , telles furent  les nécessités d'une époque qu'il appartient d'analyser en profondeur .

            Le bouleversement issu de la Libération a entraîné des réformes politiques , économiques et sociales : comment la génération résistante a intégré cette époque nouvelle ? Selon quelles modalités ? Il s'agit bien  ici de s'interroger sur la place de la Résistance dans l'imaginaire national.

Avant cela, et ce fut le mérite des première communications, il était important de rappeler l'apport de la Résistance aux idées de l'après guerre : cette expérience fut elle productrice de nouvelles valeurs, de nouvelles façons d'être au monde ?

            Cécile Vast [1]s'est interrogée pour savoir comment les résistants avaient eux même définis leur engagement : quelle conscience avaient ils des valeurs qu'ils mobilisaient ? Partant des écrits de Jean Cassou et d'Alban Vistel, elle mit en évidence l'importance de la fidélité, dans une définition multiple : fidélité par rapport aux amis qui eux même s'étaient engagés, mais aussi fidélité à la France . Il y a dès lors une obsession à être, en se préservant , en conservant  intacts " coeur et cerveau " face à l'occupation des Nazis et au régime de Vichy. Parallèlement ,dans de nombreux écrits clandestins, une foi en l'avenir existe qui nécessite et en même temps soulage l'effort sur soi même , le dépassement de soi dont parle Jean Pierre Vernant qu'implique une action de résistance, dangereuse par nature car exposée à la possible répression des occupants et de Vichy. Chaque résistant se dote alors d'une " légende intérieure " qui lui permet de faire face aux événements et continuer le combat :  patriotisme et recours à la Révolution française , comme de nombreuses autres communications l'ont illustré, furent souvent  les soubassements des valeurs mobilisées par les résistants . Sébastien Albertelli [2] montra lui qu'au sein de la France Libre, et plus précisément chez les membres du BCRA, l'apolitisme dominait , ou plutôt que cet apolitisme revendiqué impliquait une attitudes très critique vis à vis des partis politiques de l'avant guerre , en particulier ceux situés à gauche de l'échiquier politique, à tel point que dans un premier Rémy , le chef du BCRA, évita de se montrer trop critique à l'égard de Vichy. L'apolitisme ici revendiqué, qu'on peut retrouver dans d'autres composantes de la Résistance, n'est que de façade mais il a peut être permis , tout en subissant des évolutions et en étant à l'origine de tensions, de permettre un consensus derrière la personnalité du Général de Gaulle.

            Pierre Laborie[3] s'interrogea lui davantage sur un aspect neuf de l'identité résistante : quelle a été la perception  de la mort  pour les hommes et les femmes qui ont participé à cette action clandestine ? Il ne s'agit plus ici de réfléchir sur les valeurs affichées par les combattants, mais de déceler , en creux, ce qui a poussé les résistants à agir. Or, la mort qu'on pouvait penser certaine dès qu'on prenait le risque de s'engager aurait pu être un frein à l'action résistante. Il fallait donc l'inclure dans le champ des possibles et en faire un élément à part entière de l'identité résistante.

            Tout en montrant la difficulté qu'a  l'historien à travailler sur ce sujet, Pierre Laborie a expliqué plusieurs points : tout d'abord, la mort est très présente pour les résistants, et elle est partout violente , ce qui édifie une véritable " culture de la mort " qu'on peut lire dans les textes de Jean Cassou ou René Char . La mort chez les résistants n'est pas une mort de temps de guerre, anonyme , frappant invariablement au gré des combats . C'est une mort en quelque sorte préparée car chaque résistant sait qu'elle peut le toucher à cause de son activité clandestine. Il lui faut donc l'inclure dans son système de pensée et c'est le second point important.

            Quel sens les Résistants donnent -ils à la mort ?  Etant potentiellement une "  victime volontaire ", on peut voir dans la mort un accomplissement de soi dans la lutte, la forme aboutie d'un sacrifice pour des valeurs. Et cela implique également que ce dialogue avec la mort est en réalité une victoire sur elle : chaque résistant, sachant ce qu'il risque, a d'autant plus de raisons de vivre . Affronter " la mort dans les yeux "[4] , c'est valoriser encore plus ce pourquoi on combat.  Ce sacrifice potentiel explique aussi que le suicide de certains résistants - on pense à Pierre Brossolette-  ne doit forcément être perçu comme une défaite.

            Sans avoir abordé toutes les aspects du rapport à la mort qu'entretiennent les résistants ( P.Laborie le souligne lui même en précisant qu'il faudrait s'interroger aussi sur le fait pour les résistants de donner la mort  ), cette communication a ouvert des perspectives novatrices dans la compréhension de l'identité résistante, jetant ainsi les bases d'une anthropologie historique des combattants de l'ombre.

            Pour saisir davantage l'héritage de la Résistance après guerre, et décrypter aussi les utilisations partisans de ce passé récent, plusieurs communications ont privilégié une approche biographique.

            Comment utiliser l'expérience de la Résistance ?

            Avant d'éclaircir ce point, Jean Pierre Azéma [5] s'est intéressé au parcours de trois résistants qui appartiennent à ce qu'il nomme la "  Haute société résistante " . Ce n'est pas tant le parcours de Jean Moulin, Jean Cavaillès et Pierre Brossolette qui est relaté que le destin mémoriel des trois hommes dans la France d'après guerre. Etablissant les similitudes et les différences de trajectoire de ces héros de la Résistance, Azéma montre qu'ils furent tous trois animés par une volonté impérative de s'engager pour la libération du territoire  , impliquant l'exaltation d'un patriotisme d'inspiration jacobine. Ils ont impressionné leur entourage par leur détermination, leur éthique de conviction . Victimes de la répression, ils ont ensuite connus un destin mémoriel différent, où c'est finalement la stature de Jean Moulin qui s'est imposé dans les années 1960 pour incarner le héros éponyme de la Résistance. Ce qui est ici évoqué, ce sont les fluctuations  d'une mémoire résistance en gestation.

            Christian Bougeard [6], auteur d'une biographie  sur René Pleven[7], illustra , à travers l'exemple de ce Français Libre, l'utilisation du passé récent dans la France d'après guerre. Quelle place occupe la Résistance dans la carrière politique de René Pleven ? Appartenant à une famille républicaine, il n'était pas préparé à la dissidence mais devint une des proches collaborateurs du général de Gaulle . Après la guerre, il  cherche un enracinement local dans les Côtes du Nord et en analysant ses discours ou ses articles dans la presse locale, en particulier lors d'inauguration de rues portant les grands noms de la Résistance, on se rend compte qu'il ne parle pas de son action personnelle mais valorise l'action des Français Libres, en particulier les FNFL, ancrage breton oblige, ; il n'évoque pas la Résistance intérieure. Cette dernière ne fait pas partie de ses références, et n'apparaît donc pas dans son " bagage " politique . On perçoit ici un des enjeux de cet héritage de la Résistance, disputé entre plusieurs familles politiques, car René Pleven  a des adversaires politiques, en particulier le PCF, qui utilisent eux les références à la Résistance intérieure. Pleven , même membre de l'UDSR, parti politique issu de la Résistance préfère insister sur la tradition républicaine plutôt que sur l'expérience de la Seconde guerre mondiale. De telles controverses à propos du testament de la Résistance se retrouve également lors des commémorations, comme l'a montré Marc Olivier Baruch [8].

            En restant sur le terrain des utilisations partisanes de la Résistance, Gilles Morin [9] s'est intéressé à l'identité socialiste après guerre.  Coincé entre la double hégémonie communiste d'une part et gaulliste d'autre part, la SFIO , malgré une épuration drastique de ses cadres qui n'avaient pas su faire face aux événements, n'a pas réellement su capitaliser son action résistante. Il s'agissait donc pour Gilles Morin, avec l'aide en particulier des affiches de propagandes des premières années de l'après guerre , de déceler les traces de la Résistance sur la culture et l'organisation socialistes.  Se faisant, il a montré les modifications entraînées par l'expérience des années 1939-1945 dans le parti socialiste. Le pacifisme, pourtant si fort avant guerre et cause d'un éclatement de structures partisanes après 1938 , est oublié, on insiste davantage sur la culture révolutionnaire, aussi bien en référence à la Révolution de 1789 que du marxisme, sur la laïcité, même si le rapport au christianisme est modifié du fait de la présence importante de militants du syndicat chrétien CFTC dans le mouvement Libération Nord, dominé par les socialistes. Surtout les réformes de la Libération, pour beaucoup d'inspiration social-démocrate, pouvaient placer la SFIO en position de force, même si officiellement ce parti se considère encore comme révolutionnaire.

            Les cadres sont issus de la Résistance, mais dans le contexte politique difficile d'après guerre, où le parti est pris entre le PCF sur sa gauche et le MRP sur sa droite, rapidement l'héritage de la Résistance  est dissous tant les évolutions doctrinales sont nombreuses  et le positionnement sur la scène politique instable.  Ces différents atermoiements furent mises en évidence par un commentaire poussé des affiches de propagande de la SFIO. Pourtant l'une d'elle montrait une aube nouvelle, et c'est bien de cela dont il s'agit dans la France d'après guerre : quelle fut l'importance de la Résistance dans la construction de cette France nouvelle ?

            Une France nouvelle sous le regard  de la Résistance ?

                        Il s'agissait ici de mesurer le rôle de la Résistance dans l'édification d'une France nouvelle ayant pour bases des réformes de structures importantes. Le point de départ de cette réflexion fut le programme du Conseil National de la Résistance, adopté le 15 mars 1944.

            Claire Andrieu [10] ainsi que Michel Margairaz[11] ont proposé une lecture de ces réformes en insistant sur les apports de la Résistance . Claire Andrieu a souligné que le programme du CNR  était le projet consensuel de la Résistance , après une longue série de discussions, ce qui montre son unité. Les réformes de structure entreprises, qui ressemblent à des programmes d'avant guerre tel que le New Deal américain ou encore  au rapport anglais de Beveridge de 1942, ont permis comme l'a dit Michel Margairaz une modernisation de la France , ainsi qu'une démocratisation avec le rôle nouveau joué par la représentation paritaire . Des mesures sociales, symbolisées par la création de la Sécurité sociale  ont accompagné ce large mouvement de modernisation, mais on doit tout de même constater une continuité avec les mesures sociales d'avant guerre ; certains ont pu dire que c'était là l'achèvement de l'oeuvre du Front  populaire de 1936.

            Mais la modernisation de la France issue de la victoire des Alliés et de la Résistance française  a pu être rappelé dans un autre domaine : Christian Delporte[12] a ainsi démontré le rôle des médias, en particulier de la presse, dans le rétablissement de la république, et l'attention que les instances dirigeantes issues de la Résistance ont accordé au problème de la réforme de la presse française. Il fallait en effet épurer tous les titres collaborateurs, ainsi que les journalistes qui y avaient participé . Camus parlait à propos de ces journaux de " honte du pays ". On souhaite dès lors une presse nouvelle  sous le signe de l'indépendance économique ; pour cela il faut un cadre législatif et cet exemple nous montre l'implication grandissante de l'Etat dans la société française d'après guerre.

            La presse d'opinion connaît de nombreux succès, en particulier la presse issue des organes clandestins : Combat tire  dans cette période à 185 000 exemplaires . Mais très vite on constate la fragilité de ces titres, les capitaux manquent, les hommes aussi car beaucoup n'ont plus droits à une carte de presse, s'étant trop accommodés du régime de Vichy. En conséquence, la volonté de créer des organes de presse indépendants , grâce à la garantie de l'Etat, qui était prévue dans le programme du CNR, est assez rapidement mise entre parenthèses, plusieurs titres disparaissent , et la publicité redevient très importante dans la presse. On constate assez rapidement donc une dissolution de l'héritage de la résistance dans ce domaine.

            Qu'en est -il dans un autre pilier de la République renaissante, à savoir l'armée ?

            Claude d'Abzac-Epezy[13] a offert une synthèse limpide sur cette question. A la Libération, les résistants veulent incarner l'armée nouvelle de la France. On revendique l'héritage de l'armée populaire de Valmy , et surtout l'armée restée au service du pouvoir vichyste est honnie.  On insiste aussi sur l'amalgame avec les troupes issues de la Résistance, mais rapidement une temporisation s'amorce. On craint tout d'abord le noyautage de communistes, il faut de plus reprendre les militaires qui n'ont pas été partisans de De Gaulle . Par différents moyens, les soldats issus des FTP sont limités dans leur avancement, alors qu'on favorise celui des Forces Françaises Libres[14]. L'héritage de la résistance est là encore rapidement mis entre parenthèses . Même sur le plan technique, l'armée française ne valorise pas les techniques de combat acquises dans la Résistance : on préfère de  "  vrais " soldats, et non pas des maquisards ou des adeptes de la guérilla. Pourtant , cet héritage technique aurait pu être réutilisé  dans les conflits  des années  suivantes, où la France a dû justement faire face à ce type d'adversaire.

                      C'est en effet un des apports du colloque que d'avoir porté le regard sur les conflits coloniaux des années d'après la seconde guerre mondiale en s'interrogeant pour savoir si une ou plusieurs  " grilles de lecture " issue de la  Résistance ont pu entrer en ligne de compte. Il a donc fallu comparer les époques, mais aussi comparer les  situations nationales.

            L'héritage de la Résistance au risque du comparatisme :

Dans les autres pays européens, les situations à l'issue de la guerre furent parfois différentes .

            José Gotovitch[15]analysant le cas de la Belgique, a décrit  une après guerre qui tend à clore l'épisode résistant. En effet, pour les Belges, ce qui compte , c'est avant tout l'unité nationale et l'avenir politique de la Belgique se joue en dehors de la Résistance. Les autorités portent leur attention sur le redémarrage économique, et les références à la résistance ne sont plus que de l'ordre symbolique . Le consensus français, qui ne dure d'ailleurs que quelques mois , ne se retrouve pas en Belgique . Il n'a pas existé non plus en Grèce , où la situation d'après guerre fut bien plus difficile car elle fut touchée par une guerre civile  aux implications internationales.

            Polyméris Voglis[16], auteur d'un ouvrage sur les prisonniers politiques durant la guerre civile grecque[17], a tout d'abord expliqué que la résistance grecque ne fut pas unie : il y  eut la résistance communiste et la résistance nationaliste.  Dans l'immédiat après guerre où chacun cherche à prendre le pouvoir, la période de résistance à l'occupant n'est donc pas mis en avant , il faut même la gommer car pour les nationalistes , les communistes n'étaient pas vraiment dans la nation grecque et n'avaient donc pas pu participé à la libération nationale. De même les communistes, en particulier après la défaite lors de la Guerre civile, n'ont pas voulu valoriser cet épisode, puisqu'ils n'avaient pas été assez forts pour s'imposer seuls au pouvoir. P.Voglis a très bien montré que ces querelles  furent durables en Grèce , et que la période de la Résistance a été jusqu'à une période récente négligée par l'historiographie .

            C'est aussi à une lecture de l'histoire récente de la France, au prisme de la Résistance ,  que nous ont invité  d'autres communications.  Il s'agissait ici de comparer les valeurs de la Résistance , non plus dans l'espace mais dans le temps.

Daniel Lefeuvre[18] avait pour tâche de confronter  les Résistants à la Guerre d'Algérie.  Utilisant une source  judicieuse - le journal le Patriote Résistant de la FNDIRP des années 1954-1962 - , il a voulu voir comment des anciens résistants appréhendaient un conflit où le mimétisme avec la Seconde guerre mondiale se voyait dans le vocabulaire ( Le CNR de Bidault, les références à la Résistance du FLN , ou les Harkis perçus comme des collaborateurs). Il ressort de son analyse que , tout en n'ayant aucune sympathie pour le FLN ni en étant du moins dans un premier temps en faveur de l'indépendance de l'Algérie, la FNDIRP insista de plus en plus sur le respect des droits humains, sur la condamnation de la torture ( à partir de novembre 1956) et ce en lien avec la propre expérience des anciens résistants - on peut penser ici aussi à Claude Bourdet condamnant l'armée française qui selon lui se comportait en Algérie comme la Gestapo avec les résistants - , mais il est à noter qu'une telle attitude ne se fit pas d'emblée .

            La réappropriation partisane  de l'héritage de la Résistance put se faire aussi par d'autres biais comme Julien Hage[19] l'a développé en prenant l'exemple de François Maspéro[20], hanté par l'expérience de la guerre et agissant comme opposant à la guerre d'Algérie en référence aux idéaux de la Résistance.

            Relire le présent avec les idéaux de la Résistance fut aussi effectué dans les années 1960 et 1970 par les groupes d'extrême gauche qui recherchaient dans cette période des exemples à suivre et des modèles .  Ce fut le sujet de la communication d'Emmanuelle Loyer [21] : elle s'est plus particulièrement interrogée sur l'utilisation de la Résistance dans l'action politique des maoïstes de la Gauche prolétarienne, qui furent au début des années 1970 tentés par l'action armée, sans jamais réellement  franchir le pas. On retrouve là encore un mimétisme du vocabulaire ( les maoïstes sont les " nouveaux partisans ") , avec l'utilisation d'une généalogie révolutionnaire où la Résistance est très présente. L'itinéraire de Pierre Goldman , marqué par la résistance de ses parents fut symptomatique de cette  emprise de l ‘épopée résistante chez de jeunes militants en quête d'identification. Des résistants comme Charles Tillon ou Roger Pannequin ont pu volontairement , un temps donné, joué le rôle de mentor de ces militants gauchistes.

                        Ce fut donc bien  à une relecture de la Résistance, dans ses multiples dimensions, que nous invita ce colloque international. Le poids de ces années de lutte  dans la France d'après guerre, mais aussi dans les mémoire individuelles et collectives, la convocation des idéaux de la Résistance pour aider à comprendre les années suivantes ou fournir une conscience politique , tels furent les différents points évoqués durant ces trois jours. L'ensemble a constitué un colloque de qualité permettant de poser les jalons d'une histoire de la résistance inscrite dans une longue durée.

Il a permis également de mesurer que la Résistance conserve une part d'actualité :laissons les derniers mots à  François Maspéro, qui était le sujet d'une des communications, et qui  a , à sa manière, rendu hommage à celles et ceux qui ont su résister : "  j'ai rencontré d'innombrables abeilles et suffisamment de guêpes qui luttent, chacune à sa manière, contre le pire. Grâce à qui, toujours dans l'histoire, le pire a été, non parfois évité, mais finalement surmonté."[22]

Benoît Kermoal

[1] Cécile Vast, doctorante à l'Université de Besançon : "  Les valeurs de la Résistance. Mythes et réalités "

[2] Sébastin Albertelli, doctorant  à l'IEP Paris : "  L'apolitisme , une valeur de la Résistance ?L'exemple du BCRA "

[3] Pierre Laborie, EHESS, "  La Résistance et la Mort "

[4]  La Mort dans les Yeux  est le titre d'un ouvrage de Jean Pierre Vernant, Hachette, 3ème édition, 1990. Du même auteur, on conseillera le dernier ouvrage : La Traversée des frontières, Le Seuil, 2004.

[5] Jean Pierre Azéma , IEP Paris: "  Jean Moulin, Pierre Brossolette, Jean Cavaillès : trois hommes pour une France ? "

[6] Christian Bougeard, Université de Bretagne Occidentale, "  René Pleven. La place de la guerre et de la résistance dans la carrière politique d'un Français libre "

[7] C.Bougeard, René Pleven, Un Français Libre en politique, P.U.R., 1994

[8] Marc Olivier Baruch, EHESS, "  1954, comment l'Etat commémore sa libération ? "

[9] Gilles Morin, Lycée Marie Curie de Sceaux, "  L ‘identité socialiste au sortir de la guerre ".

[10] Claire Andrieu, IEP Paris "  Le programme du CNR : programme de la Résistance ou projet d'une époque ? "

[11] Michel Margairaz, Université de Paris VIII, "  Entre démocratisation et modernisation : une Réisstance peut en cacher une autres "

[12] Christian Delporte, université de Versailles Saint Quentin en Yvelines :  "  Quelle presse nouvelle ? "

[13] Claude d'Abzac-Epezy, CEHD, Ministère de la Défense : " L'héritage de la Résistance dans l'armée française "

[14] Sur ce point , on peut lire R.Bourderon, Rol Tanguy, Tallandier , 2003

[15] José Gotovich, CEGES Bruxelles "  Les résistants belges après guerre : potiches glorieuses ou intrus encombrants ? "

[16] Polymeris Voglis, Université de Thessalonique : "  The Resistance trough the Civil War : politics and ideology  postwar Greece 1945-1950”

[17] P.Voglis, Becoming a subject.Political Prisoners during the Greek Civil war, 1945-1950, Berghan, 2003

[18] Diel Lefeuvre, Université de Paris VII, "  Les Résistants et la Guerre d'Algérie "

[19] Julien Hage, Doctorant à l'Université de Versailles Saint Quentin : "  François Maspéro, le passeur de mots. Mémoire de la Résistance et engagement anticolonialiste "

[20] Voir F.Maspéro, Les Abeilles et la guêpe, Seuil, 2002.

[21] Emmanuelle Loyer , Université Charles de Gaulle, Lille III: "  Sous les pavés, la Résistance ? "