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La France des camps. L'internement. 1938-1946


Denis Peschanski
Paris, Edition Gallimard, 2002, 549 pages

À travers son étude des politiques d'internement en France, resituées dans une chronologie qui déborde en amont et en aval la stricte période de l'Occupation, Denis Peschanski restitue dans sa complexité et sa diversité le monde de l'internement de 1938 à 1946. En portant le regard sur ses principaux acteurs, décideurs, gestionnaires et internés, il fait la part du volontarisme politique, mesure le poids des contraintes et de la conjoncture, et décrit les conditions de vie précaires (promiscuité, faim, froid) et dramatiques, l'extrême variété des " horizons d'attente " des internés - et combien sont différentes les raisons d'être interné, et différents les sorts réservés à des communistes, des réfugiés espagnols, des nomades, ou des Juifs étrangers menacés par la déportation et l'extermination -, la place des solidarités et le rôle ambivalent joué par les oeuvres d'entraide (1), enfin .

L'internement, comme forme de répression, se distingue par sa nature et sa fonction de l'emprisonnement ; de fait en 1938, un premier décret est promulgué instituant l'internement administratif et visant les personnes censées nuire à l'État. Les premiers camps - pensés comme provisoires en 1938 - sont créés, Compiègne et Drancy. L'internement et ses camps dureront ainsi pendant toute la période de l'Occupation et les derniers camps ferment en 1946, après la Libération. Au cours de cette période pourquoi interne-t-on ? Qui interne ? Qui est interné ?

Parmi les internés, Denis Peschanski distingue trois grands cas de figure, à la fois reflet du volontarisme des différentes politiques menées entre 1938 et 1946, et conséquence des contingences, du provisoire, et des mesures prises dans l'urgence, qui traversent toute la période, quelle que soit la nature du régime. Tout d'abord un internement qui répond à un projet politique et idéologique ; tel est le cas de l'internement visant les communistes, et faisant suite à l'interdiction du PCF en septembre 1939, dans le contexte de la fin du Front populaire. Vichy à partir de l'été 1940 assure la continuité de cette politique. Deuxième cas de figure, en 1939, puis à la Libération, l'internement administratif a tenté de répondre à des mesures d'exception : internement dans des camps de ressortissants de puissances ennemies (Allemands et Autrichiens), dont on mesure toute l'absurdité, puisqu'ils étaient pour l'essentiel des réfugiés de l'Allemagne nazie. A la Libération l'internement des présumés collaborateurs, des trafiquants de marché noir, etc., entre dans le cadre de la politique d'épuration. Dernier cas, l'internement comme gestion dans l'urgence d'une contrainte " extérieure " : les réfugiés espagnols, quelque 300000 à 350000 personnes dont la grande majorité sera rapatriée, les Juifs de Bade-Palatinat expulsés par les Allemands en 1940. Enfin, dans la logique de déportation décidée par les Allemands les camps servent de transit vers les camps de concentration et d'extermination nazis.

Pour Denis Peschanski, quatre logiques dominantes se sont succédées entre 1938 et 1946. La première, celle de la III° République finissante, pensée comme provisoire, est une logique d'exception visant les indésirables étrangers, dans un contexte de crise d'identité nationale. Avec le régime de Vichy, de 1940 à 1942, le camp constitue le dispositif d'une logique d'exclusion, celle de la lecture de la défaite de 1940 à travers le prisme de la Révolution nationale. Puis, de 1942 à 1944, l'internement s'inscrit plus largement dans une logique de déportation, initiée par les Allemands ; Vichy gère les contraintes d'une population internée composée d'enfants, de femmes et de vieillards, faisant appel aux oeuvres d'entraide (française, suisse, confessionnelle). Avec la Libération et le retour de la démocratie, de 1944 à 1946, prédomine à nouveau une logique d'exception, le dernier camp ferme en 1946.

Cécile Vast

(1) Sur ce sujet et sur les immenses et douloureuses contradictions éprouvées par les responsables et les bénévoles de ces oeuvres d'entraide, voir le très beau documentaire de Jacqueline Veuve, Journal de Rivesaltes, Suisse, 1997

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