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Feuillets clandestins de Fresnes (8 juillet 1943-16 février 1944)


André Lassagne
Lyon, Edition BGA Permezel, 2005, 131 pages

La correspondance publiée ici n'est pas anodine, notamment parce qu'André Lassagne, professeur de lycée avant-guerre,  est un des protagonistes de l'affaire de Caluire.

Membre de Libération-Sud, puis du 2e Bureau de l'Armée secrète, Jean Moulin le destine à être  nommé inspecteur de l'AS pour la zone sud après l'arrestation du général Delestraint le 9 juin 1943. C'est à ce titre qu'il participe à la réunion de Caluire qui, le 21 juin suivant, doit réorganiser l'état-major de l'AS. 

Torturé, rapidement transféré à Paris avec la plupart des résistants arrêtés par Klaus Barbie, Lassagne séjourne à Fresnes de la fin juin 1943 à  mars 1944. Déporté, il est libéré par les Alliés en mai 1945 alors qu'il se trouve au camp de Flössenburg. Il passe l'agrégation de lettres puis entame une carrière politique au sein du RPF (sénateur du Rhône), mais, affaibli par les graves séquelles de sa déportation, il meurt en 1953, à 41 ans, laissant une veuve et quatre enfants.

Ce sont ses enfants qui révèlent aujourd'hui au public le contenu des feuillets adressés clandestinement par André Lassagne à ses amis Jean et Jeanne Lonjaret pendant sa détention à Fresnes. Colis et échange de linge étant autorisés, le prisonnier et ses amis ont pu correspondre par des messages écrits avec une mine de crayon sur des feuilles de papier à cigarettes, insérées ensuite dans les ourlets recousus de torchons ou de mouchoirs.  Les messages des Lonjaret ayant été détruits par Lassagne, ce sont ceux du prisonnier,  dactylographiés à l'époque par ses amis au fur et à mesure de leur arrivée, qui sont ici édités, avec de très utiles précisions sur les noms évoqués, une  notice biographique et un témoignage de Jean Lonjaret recueilli en 1951.

Ces messages ont évidemment comme thèmes les plus récurrents des soucis bien terre à terre : les douloureuses séquelles de ses interrogatoires à Lyon, la nourriture, les vêtements, les puces, la promiscuité de la vie cellulaire - difficile au physique comme, parfois, au moral, car Lassagne se sent  peu d'affinités avec certains de ses co-détenus -, les livres en langue étrangères dévorés pour ne pas " se rouiller la cervelle ". Une seconde thématique importante est celle du retour sur soi : la double expérience de la solitude carcérale et de la force du lien avec les Lonjaret représenté par ces humbles messages est pour l'intellectuel Lassagne le moment d'une introspection sur tout ce qui fonde sa vie personnelle la plus intime, sa conception de l'amour, de l'amitié. : " Une chose est sûre, c'est que je vis par le coeur des moments merveilleux, toujours avec vous deux, inséparables ".

Pour l'historien de la Résistance, ces messages comportent de nombreuses notations passionnantes. Ainsi, sur la puissance de l'espoir qui l'anime d'un débarquement allié pendant tous les mois de l'été et de l'automne 1943, ou sur la façon dont il formule ses projets pour l'après-libération : " Pour l'avenir, grosses discussions autour de programmes, débordons de civisme et de bonnes intentions. En construction, un mémorial de la Résistance, ses rubriques (...) " Tenons à jour liste traîtres et politiciens dégonflés " (p 26). Plus loin, il demande à Lonjaret de " préparer [l']organisation d'un journal " qui dans l'après-guerre luttera "  contre le parti et le schéma du français mi-poivrot mi-épargnant ". Ou encore : " Comme tout devient lumineux depuis la défaite et comme l'idée de Patrie est redevenue forte et belle. Je crois que notre révolution ne sera pas à base russe, notre point de départ culturel est infiniment plus relevé que celui de l'URSS. Sans orgueil déplacé, j'estime que la France peut réaliser une harmonie entre les extrêmes inconciliables. Nous devons être les artisans de cet ordre vraiment nouveau. "

Au total, au même titre  que les lettres de prison de Boris Vildé, de Bertrande d'Astier de la Vigerie ou d'Honoré d''Estienne d'Orves, ces textes constituent un témoignage  irremplaçable pour qui s'intéresse à l'univers mental des résistants. 

Bruno Leroux