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Elles et eux de la Résistance. Pourquoi leur engagement ?


Caroline LANGLOIS et Michel RAYNAUD
Paris, Edition Tirésias,, 2003, 345 pages

PAROLES DONNEES

Caroline Langlois et Michel Reynaud sont allés à la rencontre de résistants, les interrogeant notamment sur les circonstances de leur engagement. Il en résulte une suite de. vingt-huit portraits, ou esquisses, et je ne vois d'autre manière d'en rendre compte honnêtement que d'avoir quelques mots pour chacune et chacun, tout en renvoyant à ce très remarquable ouvrage.

Hélène bientôt Viannay, remontant de la zone " libre ", apercevant à Vierzon une immense croix gammée, se dit : " C'est inacceptable, je n'accepte pas ". Elle rencontre un jeune Philippe qui croit encore en Pétain. Peu importe, ils fondent avec Robert Salmon un des premiers journaux de la Résistance, Défense de la France. Paul Le Goupil, candidat au brevet supérieur, hérite en guise de sujet de philosophie d'une citation du Maréchal Pétain. Il expose que ce dernier n'est qu'un fantoche sénile et que l'avenir de la France est incarné par le général de Gaulle. S'ensuit un itinéraire qui le mènera à Buchenwald, éclairé notamment par la belle figure de l'abbé Kerebel, qui par souci d'efficacité n'a pas hésité à rejoindre les communistes ; lui ne revint pas de déportation.

Qui ne connaît le caractère indomptable de Mane-Jo Chombart de Lauwe ? Une phrase de son témoignage le résume, à propos des horribles affiches de la Gestapo : " Ce qui provoquait la peur accroissait aussi notre volonté de lutter ". Aurions-nous été imprudents, demande-t-elle, oui, bien sûr, nous étions des apprentis sans maître. Et cette conclusion bien dans sa manière : " S'il le fallait, je recommanderais, mais je m'y prendrais mieux ".

Jean-Marie Delabre, qui a quinze ans en 1940, ne se laisse pas convaincre par un père que pourtant il admire et qui fait confiance à Pétain. Il entend une phrase du général de Gaulle, " La France a perdu une bataille, elle n'a pas perdu la guerre ", cette phrase le galvanise et il s'engage dans une lutte qui se termine par la déportation. De laquelle, bien dans son style, il ne dit mot, se contenant de noter : " Je rentrai en mai 45 ". Gisèle Guillemot, à qui nous devons déjà Entre parenthèses ( L'Harmattan, 2001), prix littéraire de la Résistance 2002, retrace une terrible partie d'échecs. Le récit de l'exécution de Lucien Sampaix et de ses camarades tire les larmes, même s'il s'y mêle une nuance de grotesque. Quand les condamnés entonnent L'Internationale, l'officier allemand hurle : " Vous serez punis très sévèrement ! "

De Violette Maurice, on connaît le bref et pathétique récit N. N.(Encre marine, 1995). C'est avec une suprême pudeur qu'elle rapporte ici une aventure dont elle a réchappé par miracle.

Histoire extraordinaire que celle de Jacques Lusseyran, qui, devenu accidentellement aveugle à l'âge de sept ans, n'en joue pas moins un rôle très actif dans la Résistance, et survit à la déportation. Après la guerre, professeur à l'université de Cleveland. Avec la modestie des héros Yvette Servin nous assure : je n'ai pas fait grand chose, et d'ailleurs, il ne m'est rien arrivé de grave. Elle évoque une directrice d'école nommée Yvonne Le Tac, à qui sa petite-fille Monique a consacré un livre également publié par les éditions Tirésias, préfacé par Geneviève de Gaulle-Anthonioz.

Gehrard Léo, né à Berlin, a connu le nazisme dès ses débuts, et son père avocat, qui avait gagné un procès contre Goebbels, a évacué clandestinement sa famille en France. Gehrard Léo, qui est bilingue, collecte les renseignements jusqu'au coeur de l'appareil allemand. Arrêté, il est tiré du train par les maquisards de Corrèze après un violent accrochage, et, devenu pour tous " le Rescapé ", combat le division Das Reich. Pour Jeanne Ferres, âgée de vingt ans, résister est une évidence. Sur la côte normande, elle se livre à un minutieux travail de renseignement, qui la conduira à Ravensbrück.

Jean Ringeval fit le pari de se jeter dans la gueule du loup : il s'engagea dans la police, ce qui lui permit de prévenir de nombreux juifs du danger qu'ils couraient, se heurtant parfois à leur incrédulité. Prisonnier à Eysses, il prit part à la célèbre et dramatique révolte, avant d'être déporté à Dachau.

Elève à Notre-Dame de Sion, Jacqueline Pardon, en 1938, entend le Père Yves de Montcheuil expliquer le danger nazi - Yves de Montcheuil qui, aumônier au Vercors, y trouvera la mort. Jacqueline Pardon a eu aussi un professeur de logique nommé Jean Cavaillès... Elle participa à la rédaction et à la diffusion de Défense de la France, avant de rejoindre le maquis en Bourgogne. Elle a épousé Jacques Lusseyran. Jacques Dennery rencontre un personnage surnommé " Pierre faux papiers " (en fait Pierre Kahn) et tous deux mettent sur pied une organisation qui deviendra le réseau " Plutus ". Pascal Vallicioni, né en 1926, ravitaille le maquis de Provence avant de s'y intégrer. Arrêté, il est déporté à Neuengamme.

Henny Dreifuss, née à Pforzheim en 1924, se retrouve en France en 1933 - son père ayant vite compris. Dès le premier papillon qu'elle colle sur les murs de Lyon, elle se dit : si je dois mourir, ce ne sera pas en vain. Profitant de sa connaissance de l'allemand, elle infiltre les bureaux de la Wehrmacht. Quant à ses parents, ils ont disparu à Auschwitz, et son frère à Maidanek.

Jacques Vico, qui accomplit dans le Calvados plusieurs missions de renseignement et de sabotage, ignorera jusqu'à la Libération le rôle que jouait dans la résistance de la région son propre père Roland Vico, qui fut déporté à Mauthausen.

André Debon pense qu'il a eu de la chance de tomber sur un officier allemand anti-nazi. Il en avait bien assez fait pour être fusillé. Il rappelle comment du fait de la Résistance une division de la Wehrmacht mit vingt-trois jours pour aller de Strasbourg à Caen. Claire Richet, interrogée sur son engagement, répond : c'était si naturel ! Cela peut commencer dérisoirement, par des boules puantes lancées en plein concert, se continuer drôlement, par des armes cachées dans un caveau du cimetière, et se terminer en apprenant qu'on a joué un rôle dans les services britanniques...

A dix-huit ans, Manano Constante a déjà derrière lui l'expérience de la guerre d'Espagne. Il s'engage dans les troupes françaises. Fait prisonnier, il sabote autant qu'il peut tout ce qui est allemand. Il est déporté à Mauthausen. Les parents de Michèle Agniel cachent des aviateurs alliés. La jeune fille leur procure des faux papiers, les faisant passer pour des sourds-muets. Toute la famille est arrêtée en avril 1944. Michèle n'a jamais revu son père. Réfugiée espagnole, Teresa Moratilla n'hésite pas à reprendre le combat pour la liberté. Son appartement de Toulouse sert de quartier général aux résistants d'origine espagnole, d'autant qu'il a l'avantage de comporter deux entrées... Teresa Moratilla rend un vibrant hommage au docteur Marti i Feced, qui avait fondé la Croix rouge de Barcelone.

Jacques Bloch est apparenté à Marc Bloch, lequel prête sa maison de Creuse à la famille traquée. Il entre dans le maquis qui, après le débarquement, attaque la Feldgendarmerie à Guéret. I! fera partie des derniers déportés à Buchenwald. Maria Margarita Masmanonos de Zmura est chargée de distribuer d'énormes paquets de tracts, et, un soir, elle est obligeamment aidée par des soldats allemands " très corrects "... Mais la chance tourne, elle est arrêtée et séparée de sa fille, et reste en prison jusqu'à la fin de la guerre. Charles Debarge a tenu un journal de sa lutte dont sont cités de significatifs extraits. Saboteur inlassable, il fut sauvagement abattu par les Allemands, qui l'enregistrèrent comme fusillé. Roger Pannequin l'a évoqué dans ses souvenirs, Ami, si tu tombes...

Sobriété de Guy Ducoloné : " A la Préfecture de Paris ils ont voulu à force de coups me faire dire quelles étaient mes responsabilités. Ils ne l'ont pas su "... Il nous transmet le texte du serment prêté à Buchenwald par les survivants. Mais Guy Ducoloné ne dit pas tout, sur ce qu'il fut à Buchenwald il faut entendre Pierre Sudreau (cf. Au-delà de toutes les frontières, Odile Jacob, 2001) à qui il sauva la vie.

Pierre Fourmentraux, entré très jeune dans les ordres, est de ceux qui ont sauvé l'honneur de l'Eglise. Le génie du christianisme n'est-il pas à l'opposé de l'idéologie nazie ? Sa cohérence vaudra au jeune prêtre d'être embarqué dans le Todeszug, le " train de la mort ".

France Hamelin, étudiante en philosophie, assiste effarée à la rafle du Vel'd'Hiv'. Discrète sur son propre combat, qui faillit lui coûter la vie, elle rend hommage à la Résistance allemande et en particulier à la " Rose blanche " des admirables enfants Scholl.

Enfin, Hélie de Saint Marc, dont la rectitude, la générosité, le sens de l'honneur, la bonne foi, sont désormais largement connus, reconnus. Dans une post-face fort judicieusement dédiée à Madeleine Riffaud, qui dans sa lutte éperdue contre le nazisme prit le pseudonyme de Rainer par hommage à Rilke, Michel Reynaud insiste sur la dimension poétique de la Résistance - n'a-t-elle pas commencé par des mots, ou même par un mot, le 18 juin 1940 ? Et les moyens matériels sont venus aux mains de ceux qui avaient les mots justes. Anthologie en forme de survol, après d'autres plus complètes publiées par le même Michel Reynaud, mots de salut de l'esprit aux accents à la fois déchirants et réconfortants, mots aux couleurs de désastre et d'aurore.

François George
Secrétaire de l'association " Liberté - Mémoire "

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