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Jacques BINGEN


1908-1944
Musée de l'Ordre de la Libération
Musée de l'Ordre de la Libération

Directeur d'une société d'armement naval de transports maritimes, il participe en 1940 à la campagne de France. Démobilisé, il rejoint l'Angleterre en juillet 1940. Après avoir supervisé les services de la marine marchande de la France libre, il demande à intégrer le BCRA (Bureau central de renseignements et d'action - les services secrets de la France libre-) dont il dirige la section non militaire dès août 1942. Il comprend la complexité des organisations clandestines en rencontrant à Londres des chefs de mouvements et de réseaux. Très lié à Jean Moulin depuis leur rencontre à Londres, Bingen se déclare volontaire pour une mission en métropole. Arrivé en France en août 1943, il est investi de lourdes responsabilités dans une période de forte répression. Délégué du Comité français de la Libération nationale pour la zone Sud, puis Délégué général par intérim, il pousse à la fusion des forces résistantes en vue de la Libération et, participant aux réunions du CNR, est associé à l'élaboration de son programme (mars 1944). Ses rapports et ses lettres montrent combien Bingen a su comprendre les résistants de l'intérieur, du fait qu'il en partageait désormais l'expérience. Il réclame au CFLN à Alger l'augmentation des sommes allouées aux mouvements alors que les maquis grossissent et que la répression s'intensifie. « C'est pour nous une question de vie ou de mort (2)» écrit-il. Par ailleurs, l'une de ses dernières lettres (14 avril 1944) rend hommage aux combattants: « [...] la noblesse et l'amitié de beaucoup de mes compagnons de lutte ont grandement contribué à ma vision heureuse de cette paradisiaque période d'enfer ». Trahi, il est arrêté en mai 1944 à Clermont-Ferrand et se suicide pour ne pas parler.

Hélène Staes

 

Les lettres des résistants éclairent les motifs de leur engagement et leurs convictions. Les lettres de Jacques Bingen sont à ce titre des textes exceptionnels.

  

« Lettre à mes amis »

Londres, le 14 août 1943

Si cette enveloppe est ouverte, c'est que je serai mort pour la France et pour la cause de la liberté. Je désire que mes amis sachent que je suis tombé en mission volontaire. C'est la pensée de mes amis qui a dicté mon choix, amis de toujours, prisonniers ou déportés en Allemagne, amis anciens et nouveaux déjà tombés en France sur le front intérieur ou y poursuivant un combat dangereux et inégal où je crois pouvoir les aider.

Je prie qu'on dise au général de Gaulle toute l'admiration que j'ai acquise pour lui. Il a été l'âme, la conscience même de la France pendant ces dures années. Je le supplie de conserver sa noblesse et sa pureté et de ne pas oublier après la radieuse victoire que, si la France est une grande dame, les Français seront bien fatigués.

Il faudra qu'il ait pour eux, non seulement beaucoup d'ambition, mais aussi beaucoup d'indulgente tendresse...

Il est superflu d'ajouter que je crois de toutes mes forces à la cause sacrée que je pars servir dangereusement après l'avoir servie à Londres de toutes mes facultés intellectuelles...

 

« Lettre à ma mère »,

Londres, le 15 août 1943

 Ceci n'est pas une lettre gaie puisque si tu la lis, c'est que, comme mon frère il y a vingt-sept ans, je serai mort au combat, accomplissant comme lui autrefois ce que je sais être le devoir. Comme lui, je pars volontaire et cela, je veux que tu le saches bien et le dises à chacun. Je trahirais l'idéal pour lequel j'ai quitté la France en juin 1940 si je restais à Londres, assis dans un fauteuil jusqu'à la victoire, et je trahirais mon devoir si j'abandonnais dans d'autres conditions que je ne le fais le poste que j'occupe ici. Je veux lutter dangereusement pour les idéaux de liberté qui, tu le sais, m'ont toujours inspiré. J'ai acquis dans l'épreuve un amour de la France plus fort, plus immédiat, plus tangible que tout ce que j'ai éprouvé autrefois, quand la vie était douce et, somme toute, facile. Et voici que mon départ, par une chance inattendue, peut servir la France autant que celui de beaucoup de soldats... Enfin, accessoirement, j'ai la volonté de venger tant de juifs torturés et assassinés par une barbarie dont l'histoire n'offre pas de précédents.

Il est bien qu'un juif de plus - il y en a tant déjà, si tu savais ! prenne sa part entière dans la libération de notre patrie... 

 

De Paris, le 18 octobre 1943, il écrit dans un courrier pour Londres :

« Dis bien que je vis les jours les plus heureux de ma vie ; quoi qu'il arrive, il ne faudra jamais rien regretter. Ma vie est pleine et merveilleuse...»

 

Le 14 avril 1944, il écrit une lettre qui sera la dernière reçue de lui à Londres :

J'écris ces lignes parce que, pour la première fois, je me sens réellement menacé et qu'en tout cas, les semaines à venir vont apporter sans doute au pays tout entier et certainement à nous, une grande, sanglante et, je l'espère, merveilleuse aventure. Que les miens, mes amis, sachent combien j'ai été prodigieusement heureux pendant ces derniers huit mois. Il n'y a pas un homme sur mille qui, durant une heure de sa vie, ait connu le bonheur inouï, le sentiment de plénitude et d'accomplissement que j'ai éprouvés pendant ces mois. Aucune souffrance ne pourra jamais prévaloir contre la joie que je viens de connaître si longtemps. Qu'au regret qu'ils pourraient éprouver de ma disparition, mes amis opposent dans leur souvenir, la certitude du bonheur que j'ai connu.

« La noblesse, l'amitié de beaucoup de mes compagnons de lutte ont grandement contribué à ma vision heureuse de cette paradisiaque période d'enfer. 

Extrait  de la revue Espoirs. Revue de l'Institut Charles de Gaulle n°48, octobre 1984, p.56. Reproduit avec l'aimable autorisation de la Fondation Charles de Gaulle.