Autour d’une photographie

Si de nombreux événements militaires et civils de la Seconde Guerre mondiale ont été largement couverts par les photographes professionnels et amateurs, il existe trés peu de clichés authentiques pris durant la période clandestine de la Résistance française.

De par la nature secréte de leur activité et pour des questions évidentes de sécurité, les résistants ne souhaitaient pas s’encombrer de photographies qui auraient pu devenir autant de preuves compromettantes en cas d’arrestation.

Cependant, aussi rares soient-ils ces documents existent. 
Leurs origines sont trés diverses. Il peut s’agir :

  • de photographies représentant l’arrestation ou exécution de résistants récupérées sur des prisonniers allemands ou tirées en double par des photographes à qui ces travaux avaient été confiés (voir dans cette rubrique l’historique de la célébre photo dite du « fusillé souriant « )
  • de clichés pris clandestinement par des photographes professionnels (voir ci-dessous la manifestation de Romans)
  • de vues prises par des amateurs souvent résistants eux-mêmes

Le point commun de tous ces clichés aux origines et motivations si variées est leur rareté. D’où leur reprise dans de nombreuses publications, souvent assortie d’informations approximatives sur leur origine ou sur le sens de l’événement décrit…
Inversement au moment de la Libération les photographes professionnels (notamment ceux des différents services photographiques des armées alliées) vont suivre le sillage des unités combattantes et les reportages sur la Résistance vont se multiplier. Ils réaliseront, par ailleurs, de nombreuses photographies de reconstitution pour combler l’absence de document d’époque (impression et diffusion de la presse clandestine, sabotage de voie ferrées …).

Dans cette rubrique, nous tentons d’apporter le maximum de précisions sur ces clichés si précieux en faisant appel aux témoignages de leurs auteurs et des acteurs figurant sur ceux-ci, aux avis d’iconographes, mais aussi à tous les internautes dont les informations pourront complèter nos historiques.

Nos commentaires

Christine LEVISSE-TOUZE

Photographies de Jean Moulin face à l’ennemi

Tout le monde connaît le célèbre cliché de Jean Moulin le statufiant en archétype du soldat de l’ « armée des ombres » coiffé de son feutre au bord rabattu pour rester incognito et échapper à toute poursuite. Pourtant elle date d’avant guerre! Tout aussi connues sont les photographies de Jean Moulin prises à Chartres en juillet 1940 dont l’une en « compagnie » du Feld Kommandant de Chartres. Ces clichés faisant souvent l’objet de datations et d’interprétations erronées voire fallacieuses nous avons demandé à Christine Levisse-Touzé, Directeur du Mémorial du Maréchal Leclerc de Hauteclocque et de la Libération de Paris et Musée Jean Moulin de les replacer dans leur contexte respectif. Frantz Malassis A l’aube du 17 juin, des Allemands de la 8e division d’infanterie arrivent à la préfecture sur les pas des troupes françaises en repli. Des officiers de renseignement se présentent à la préfecture et emmènent le préfet au quartier général. Jean Moulin est sommé de signer un document accusant les troupes noires de l’armée française de massacres de femmes et d’enfants. Ce texte rédigé par les services de l’armée allemande devait être signé par l’autorité du département. Jean Moulin indigné, proteste. Aux injures succèdent les coups et un passage à tabac en règle. Il est conduit au lieu-dit La Taye près de Saint-Georges-sur-Eure, où huit cadavres mutilés lui sont montrés. Jean Moulin devant les corps criblés d’éclats d’obus proteste, objecte que ce sont des victimes des bombardements le 14 juin. Il est laissé quelques heures pour réfléchir auprès des restes d’une femme. A la nuit tombante, non sans avoir insisté violemment pour qu’il signe, les Allemands l’enferment dans la loge du concierge de l’hôpital civil en compagnie d’un Sénégalais fait prisonnier. Craignant de finir par céder, Jean Moulin tente de se suicider en se tranchant la gorge avec des morceaux de verre à terre.  » Et pourtant, je ne peux pas signer [÷] Tout, même la mort [÷] Les boches verront qu’un Français aussi est capable de se saborder [..]. Je sais que ma mère, me pardonnera lorsqu’elle saura que j’ai fait cela pour que des soldats français ne puissent pas être traités de criminels et pour qu’elle n’ait pas, elle, à rougir de son fils « . Découvert à l’aube couvert de sang, il peut être sauvé. Il est ramené à la préfecture et s²ur Aimée lui prodiguera les meilleurs soins. Les supérieurs de ces officiers allemands évoquent mal à l’aise, un ...

Frantz Malassis

Photographie de l’exécution au Mont-Valérien de membres du groupe Manouchian.

C’est à ce jour l’une des trois seules photographies qui existent d’une exécution au Mont-Valérien. Selon Serge Klarsfeld, les condamnés photographiés seraient Celestino Alfonso, Wolf Josef Boczor, Emeric Glasz et Marcel Rajman. En 1944, Clemens Rüther, sous-officier de la Feldgendarmerie, catholique et  antinazi, est affecté au fort de Nogent-sur-Marne. Chargé de la sécurité du tribunal militaire allemand, il surveille le procès le plus médiatisé de l’Occupation, notamment par l’« l’Affiche rouge », celui du groupe dirigé par Missak Manouchian, l’une des composantes des Francs-tireurs et partisans de la Main-d’Oeuvre immigrée (FTP-MOI). Le 21 février 1944, il convoie les condamnés à mort jusqu’au Mont-Valérien, lieu de leur exécution. Là, placé en surplomb de la clairière où a déjà pris place le peloton d’exécution, équipé d’un Minox, il prend clandestinement trois photographies de leurs derniers instants Pendant quarante ans, il conserve ces photographies sans en parler à quiconque. Ce n’est qu’en 1985, quelques mois avant sa mort, que Clemens Rüther confie ce secret à un ami. Sur ses conseils, Clemens Rüther remet ses clichés au comité allemand Franz Stock, qui a pour but de rendre hommage à l’aumônier militaire allemand officiant un temps au Mont-Valérien. En 2003, les images sont transmises à l’actuel  Établissement de communication et de production audiovisuel de la Défense (ECPAD) par le comité allemand Franz Stock. À l’époque, le caractère unique de ces documents ne semble pas avoir été perçu puisqu’elles sont prises pour des reconstitutions et que nul n’a conscience que les personnes sur l’image appartiennent au groupe Manouchian. Fin 2009, Serge Klarsfeld, fondateur de l’association des fils et filles des déportés juifs de France, apprend leur existence dans le cadre de recherches historiques qu’il mène sur l’identification des fusillés du Mont-Valérien. Par recoupements, il parvient à authentifier ces clichés comme étant ceux de l’exécution de certains membres du groupe Manouchian. Totalement inédites, ces photographies constituent un apport documentaire majeur car jusqu’alors, il n’existait aucune image d’exécutions au Mont-Valérien où 1 007 personnes furent fusillées par les nazis(1). (1) Cf. l’article de Bastien Hugues (lefigaro.fr) « Les derniers instants du groupe Manouchian » du 11 décembre 2009. Cf. le témoignage de Clemens Rüther http://www.mont-valerien.fr/comprendre/le-mont-valerien-pendant-la-seconde-guerre-mondiale/les-fusilles/

Elizabeth PASTWA

Photographie du « fusillé souriant »

S’il existe plusieurs photographies représentant l’exécution de résistants français (1), celle dite du « fusillé souriant » reste la plus marquante et la plus connue et ce pour plusieurs raisons. L’attitude même du supplicié, bravant par son large sourire le peloton d’exécution allemand prêt à faire feu, renvoyait l’image d’une France héroïque préférant la mort à l’oppression nazie et, ne pouvait qu’émouvoir la France à la Libération. En outre, les circonstances de sa découverte et de sa diffusion ne permettaient ni de localiser le cliché, ni de connaître l’identité du résistant. Tout concourait pour en faire le cliché symbole des martyrs de la Résistance. Nous avons donc demandé à Elizabeth Pastwa, conservateur du Musée de la Résistance et de la Déportation de Besançon de préciser pour les lecteurs de la Lettre de la Fondation de la Résistance l’histoire mais aussi les conditions de récupération et de diffusion de cette photographie restée très longtemps énigmatique. Frantz MALASSIS Le Fusillé souriant Publiée dans La jeune Alsace en mai 1945 avec en exergue le poème d’Aragon Ballade de celui qui chante sous les supplices, cette photographie va devenir un symbole de la Résistance. A la une du Figaro le 3 juillet 1945, elle sera ensuite éditée sous forme de carte postale par « les Combattants de la liberté » à l’occasion des Assises nationales de la Paix et de la Liberté en 1948. Au dos à l’adresse du Secrétaire général de l’ONU une revendication sur la nécessaire dénazification de l’Allemagne et pour titre concernant la photographie, le Fusillé Inconnu, symbole de tous les héros et de tous les martyrs riait à la France, riait à la Liberté, riait à la Paix. Ce cliché est géré ensuite par l’agence Roger-Viollet et connaît une vaste diffusion : manuels scolaires, ouvrages historiques, magazines en France et à l’étranger sans que jamais son origine et sa localisation n’apparaissent. Des commentaires même fantaisistes l’accompagnent « trouvée sur un soldat de la Wehrmacht par les Alliés en Normandie ». Des journaux allemands l’utiliseront sans qu’aucun démenti ou complément ne soit apporté. Une enquête minutieuse autour d’une photo énigmatique En juillet 1984, grâce à la curiosité de Christophe Grudler journaliste au Pays de Franche-Comté et à la perspicacité de James Wood, photographe américain qui avait passé ses années d’enfance à jouer dans les fossés du Château de Belfort, est clairement identifié le lieu où se déroule l’exécution. Il s’agit en effet du Fort Blanc dans la ...

Frantz MALASSIS

Questions autour des traces photographiques de la commémoration du 11 novembre 1943 à Bourg-en-Bresse.

Roger Lefèvre Immédiatement après la défaite de 1940, en zone Occupée, parmi les toutes premières mesures édictées par l’occupant, figure l’interdiction de célébrer le 14 juillet 1940. Les nazis manifestèrent ainsi leur volonté d’anéantir toute référence à la Révolution française en s’attaquant à l’un de ses principaux symboles. Déjà en 1933, Joseph Goebbels écrit dans son livre La révolution des Allemands (1):     « L’an 89 sera rayé de l’histoire » affirmant ainsison aversion pour les acquis de la Révolution et pour les valeurs démocratiques de la Déclaration des droits de l’homme. Mais c’est dans le Paris meurtri de l’hiver 1940 que sera affichée avec le plus de virulence cette haine de la Révolution française. Dans son discours prononcé le 28 novembre 1940 à la Chambre des députés, le théoricien nazi Alfred Rosenberg déclare «L’époque de 1789 touche à sa fin. Elle a été vaincue sur les champs de bataille des Flandres, du nord  de la France et de Lorraine, cette époque qui, bien que pourrie, voulait encore déterminer le sort de l’Europe.»(2) Le régime de Vichy, de son côté, ne demeure pas en reste. Peu à peu, il escamote la célébration du 14 juillet et raye d’un trait de plume la devise héritée de la Révolution française « Liberté, Égalité, Fraternité » pour lui substituer celle de la Révolution nationale : « Travail, Famille, Patrie ». Les bustes de Marianne, symbole trop voyant de la République sont bientôt remplacés dans les mairies par des bustes du maréchal Pétain. Combattant pour la libération de la France et le rétablissement de ses libertés fondamentales héritées de la Révolution française, la Résistance va très rapidement mobiliser cette période fondatrice de notre Histoire nationale. Les références aux épisodes marquants de la Révolution française ne vont pas manquer d’inspirer la Résistance par le biais notamment de sa presse clandestine. Les dates du 14 juillet et, dans une moindre mesure, du 20 septembre, anniversaire de la victoire de Valmy servent durant toute l’occupation à mobiliser l’opinion publique et à faire prendre conscience aux Français des menaces que représentent les nazis et Vichy pour la Nation. Les manifestations du 11 novembre 1943, un peu partout en France, mettent, elles, l’accent sur l’unité nationale qui a permis la victoire de 1918. Pour ce qui est de l’Ain, Yves Martin précise que : « Dans toutes les localités du département, les monuments aux morts sont honorés de gerbes (…). À Nantua, trois ...

Frantz MALASSIS

La photographie du buste de Marianne sur la place Edgar Quinet à Bourg-en-Bresse.

Roger Lefèvre Dans l’article « Questions autour des traces photographiques de la commémoration du 11 novembre 1943 à Bourg-en-Bresse » (cf. La Lettre n°58 de septembre 2009, p. 9), nous avancions plusieurs hypothèses quant à l’origine et à l’usage des deux clichés très dissemblables décrivant cet événement et nous le concluions par un appel aux lecteurs. Appel qui n’est pas resté lettre morte puisque nous avons reçu un courrier très détaillé de Roger Lefèvre, alias Pontcarral, ancien chef de groupe franc de l’Armée secrète de l’Ain – groupement ouest. Auteur de l’un des clichés du buste de Marianne scellé par des hommes d’un corps franc sur le piédestal dégarni de la statue d’Edgar Quinet à Bourg-en-Bresse, les précisions qu’il a pu  fournir dans son témoignage nous ont permis de compléter utilement l’historique de ce cliché démontrant ainsi l’utilité de la rubrique « autour d’une photographie ».Nous le remercions vivement de son aide permettant de cerner au  plus près la vérité historique. Dans la nuit du 10 au 11 novembre 1943, malgré les patrouilles allemandes, à Bourg-en-Bresse, des hommes d’un corps franc sont parvenus à dresser un buste de Marianne sur le socle de la statue d’Edgar Quinet, récupérée par les Allemands pour les métaux non ferreux. Le piédestal de la statue a été également recouvert d’une inscription tracée à la peinture : « Vive la IVe». Ce coup d’éclat est le fait des frères André et Georges Lévrier (1) et Paul Chanel (2), membres de l’Armée Secrète. De ce même événement, on retrouve la trace dans deux documents photographiques très dissemblables tant par l’angle de vue que par la composition. Le premier est une photographie (photo 1) en noir et blanc, en plan moyen, qui assez floue, semble avoir été prise sur le vif en vue d’immortaliser ce coup d’éclat de la Résistance à des fins de propagande. Le deuxième (photo 2), dont l’un des originaux est conservé au Musée de la Résistance nationale à Champigny-sur-Marne, est un montage colorisé pris légèrement en contre-plongée et largement retouché sur le sujet central (la Marianne, le drapeau et le socle). Au premier regard, on est saisi par la proportion entre le buste et le piédestal qui ne correspond pas aux dimensions des Mariannes que l’on trouve habituellement en mairies et dénonce le trucage. Si nous n’avions pas pu déterminer qui était l’auteur du premier cliché et dans quelles conditions il l’avait réalisé, en revanche, nous avions pu établir ...

Alain COUSTAURY

Photographie de la manifestation du 10 mars 1943 à Romans-sur-Isère (Drôme)

Le 16 février 1943, le Service du Travail Obligatoire est instauré en France. Rapidement des manifestations de protestation organisées par la Résistance vont avoir lieu (prise de parole dans les gares, obstruction des voies lors du départ des trains de requis…). Seule une de ces manifestations a fait l’objet de prise de vues, celle de Romans-sur-Isère. À la Libération, ces clichés largement diffusés vont devenir les symboles de la lutte de la Résistance contre le STO. Nous avons demandé à Alain Coustaury, professeur d’histoire-géographie à la retraite, de retracer pour les lecteurs de la Lettre de la Fondation de la Résistance le déroulement de cette manifestation, en l’état actuelle des sources disponibles, et les conditions dans lesquelles furent prises ces photographies uniques. Romans en 1943 En mars 1943, même en difficulté Vichy ne vacille pas encore. Devant la montée d’une Résistance, le régime se crispe. La Milice a été créée le 31 janvier 1943, le STO (service du travail obligatoire) le 16 février 1943. Dans la Drôme, à Valence, défilent des sections de la Franc-garde, organe militarisé de la Milice de la Drôme, constituée le 28 février 1943. Le 14 mars, à Romans, se tient l’assemblée constitutive de la Milice. Le journal de Valence, Le petit valentinois publie à plusieurs reprises des publicités incitant les jeunes à entrer dans la Légion des Volontaires Français. Mais il est vrai que ni la Milice, ni la LVF ne remportent un grand succès de recrutement. Cependant, leur existence montre dans quelle ambiance les manifestants se trouvaient. On peut ajouter qu’une partie du clergé, surtout dans le haut clergé, acceptait encore le régime de Pétain. L’évêque de Valence écrit, à l’occasion des voeux du Nouvel An 1943 « Je mettrais quelque temps à pardonner aux Français égarés qui en appelant les Américains et les Anglais dans notre empire, nous ont rejetés dans la guerre, alors que tout l’effort de ce grand sage [Pétain] que le monde entier admirait, était de nous en tenir éloignés jusqu’à la fin » dans La semaine religieuse du diocèse de Valence du 9 janvier 1943. A Romans, le témoignage de l’abbé Lemonon, un des manifestants, est net sur cet aspect. L’acte de refus du 10 mars 1943 marque une rupture. En retracer avec précision le déroulement ne peut que contribuer à rendre un hommage aux manifestants. La préparation et le déroulement  de la manifestation Le capitaine Vincent-Beaume des MUR, personnage important ...