Autour d’une photographie

Si de nombreux événements militaires et civils de la Seconde Guerre mondiale ont été largement couverts par les photographes professionnels et amateurs, il existe trés peu de clichés authentiques pris durant la période clandestine de la Résistance française.

De par la nature secréte de leur activité et pour des questions évidentes de sécurité, les résistants ne souhaitaient pas s’encombrer de photographies qui auraient pu devenir autant de preuves compromettantes en cas d’arrestation.

Cependant, aussi rares soient-ils ces documents existent. 
Leurs origines sont trés diverses. Il peut s’agir :

  • de photographies représentant l’arrestation ou exécution de résistants récupérées sur des prisonniers allemands ou tirées en double par des photographes à qui ces travaux avaient été confiés (voir dans cette rubrique l’historique de la célébre photo dite du « fusillé souriant « )
  • de clichés pris clandestinement par des photographes professionnels (voir ci-dessous la manifestation de Romans)
  • de vues prises par des amateurs souvent résistants eux-mêmes

Le point commun de tous ces clichés aux origines et motivations si variées est leur rareté. D’où leur reprise dans de nombreuses publications, souvent assortie d’informations approximatives sur leur origine ou sur le sens de l’événement décrit…
Inversement au moment de la Libération les photographes professionnels (notamment ceux des différents services photographiques des armées alliées) vont suivre le sillage des unités combattantes et les reportages sur la Résistance vont se multiplier. Ils réaliseront, par ailleurs, de nombreuses photographies de reconstitution pour combler l’absence de document d’époque (impression et diffusion de la presse clandestine, sabotage de voie ferrées …).

Dans cette rubrique, nous tentons d’apporter le maximum de précisions sur ces clichés si précieux en faisant appel aux témoignages de leurs auteurs et des acteurs figurant sur ceux-ci, aux avis d’iconographes, mais aussi à tous les internautes dont les informations pourront complèter nos historiques.

Nos commentaires

Emmanuel Debono

AUTOUR D’UN FILM Le film :La Libération de Paris. Histoire, enjeux, analyse.

Avec les textes de Sylvie Lindeperg et de Jean-Pierre Bertin-Maghit On trouvera dans le numéro 37 de juin 2004 de la Lettre de la fondation le texte ci-dessous accompagné des documents iconographiques : http://www.fondationresistance.org/documents/lettre/LettreResistance037.pdf Le DVD-ROM sur la Résistance en Ile-de-France réalisé par l’Association pour des études sur la Résistance intérieure (AERI) est paru en 2004. Outre les centaines de notices (biographies, événements, monographies…) qu’il met à la disposition du lecteur, il rassemble une riche iconographie et de nombreuses séquences audiovisuelles ou sonores. Parmi ces séquences, le DVD présente dans son intégralité un film de 32 minutes tourné par les opérateurs du Comité de Libération du Cinéma français (CLCF) durant les journées de l’insurrection parisienne : le Journal de la Résistance. Nous proposons ici de rappeler la genèse de cette entreprise exceptionnelle, ses enjeux et sa réception par le public. Nous présentons par la suite le traitement qui en a été fait dans le cadre du DVD-ROM ainsi que quelques exemples d’analyse. Aux origines du film : L’idée de réaliser un film sur la Libération est venue d’Hervé Missir, reporter d’actualités, après le débarquement allié en Normandie. Au 78 avenue des Champs-Élysées, quartier général du CLCF, celui-ci s’entoure d’une équipe de techniciens: Nicolas Hayer (chef opérateur), l’écrivain René Blech (responsable de la section cinéma du Front national), Roger Mercanton (monteur), André Zwobada (réalisateur) et Jean Jay (ancien directeur de l’Association de la presse filmée). À l’origine, le film sur la libération de Paris est conçu comme un témoignage sur l’insurrection parisienne mais aussi comme le numéro zéro des futures actualités libres que le CLCF entend diffuser dans toutes les salles des territoires libérés. Il refuse de laisser le monopole aux actualités américaines Le Monde libre, seul journal projeté depuis le 6 juin dans la France libre. Le travail est planifié. La capitale est divisée en dix secteurs. Nicolas Hayer prend la tête d’une véritable troupe d’opérateurs répartis en équipes de deux ou trois : il s’agit d’anciens journalistes de Gaumont, Pathé ou Éclair, employés à France-Actualités depuis 1942, et d’indépendants. Parmi eux se trouvent Robert Petiot, Robert Batton, Georges Méjat, Pierre Léandri, Georges Barrois, Joseph Krzypow, Yves Naintré, François Delalande, Georges Madru, Albert Mahuzier, Philippe Agostini (directeur de la photo), René Dora, Marcel Grignon, Gilbert Larriaga… Des liaisons sont établies avec les studios et les entrepôts pour récupérer pellicule et matériel. Les réunions se multiplient, appartements, plateaux, laboratoires sont utilisés alternativement. À l’approche du ...

Bruno LEROUX, Frantz MALASSIS et Cecile VAST

Une dénonciation par l’image de la répression et des crimes nazis. La diffusion des photographies publiées à la Une de Défense de la France du 30 septembre 1943.

Bruno LEROUX Frantz MALASSIS Cecile VAST Grâce au témoignage de Charlotte Nadel (1) , qui avait en charge la responsabilité technique d’impression du journal Défense de la France, nous pouvons expliquer l’origine et le choix des photographies publiées dans le numéro du 30 septembre 1943. En revanche, n’appartenant pas au comité de rédaction du journal composé notamment de Philippe Viannay, Robert Salmon et de William Lapierre, elle ne peut nous indiquer comment s’est opéré le choix des textes publiés dans ce numéro en même temps que les photographies.De plus, n’assurant plus le contact avec d’autres mouvements de Résistance pour la récupération et l’échange des informations (2), Charlotte Nadel n’est pas en mesure de nous donner des précisions quant à l’origine des témoignages et informations contenus dans les articles de ce numéro. Le 30 septembre 1943 Défense de la France publie un numéro spécial « Les fruits de la haine », consacré aux tortures infligées aux résistants par la Gestapo et par la police de Vichy dans les prisons, et dans les camps de concentration (3). Il donne à voir en première page un ensemble de photographies montrant le sort des prisonniers soviétiques ainsi que celles d’enfants grecs affamés. Ces photographies sont ainsi légendées par les rédacteurs du journal : « Prisonniers russes réduits par la faim à cet effroyable dénûment. Remarquer dans l’embrasure de la porte l’Allemand qui rit », « Prisonniers russes jetés à la fosse. Un de ces malheureux (…) est encore vivant. Sa main se crispe sur le pantalon de l’un de ses bourreaux. Remarquer l’air tranquille et indifférent des soldats allemands accomplissant leur »tâche ». « , « Il faut que toutes les mères de France voient où mène la »protection allemande ». Les innocents, les faibles que la force devrait abriter sont écrasés, massacrés, torturés par la force au service d’aventuriers. L’Allemagne, une fois de plus, s’est déshonorée devant le monde. « Ces photographies appuient et illustrent les documents écrits et les témoignages publiés à l’intérieur du numéro, en particulier l’article intitulé : » L’ordre nouveau en Europe  » (« Dans les camps de concentration » et « En Pologne »). Elles ne correspondent cependant pas au contenu des témoignages publiés dans ce numéro. Les témoignages : Les rédacteurs de Défense de la France produisent l’origine des témoignages qu’ils publient : « N.B. Nous avons utilisé l’ensemble des documents existant actuellement sur ces questions. On ne s’étonnera donc pas de retrouver des récits déjà publiés ailleurs, notamment dans les brochures du parti communiste et du Front National« . Ils signalent également ...

Hervé Guillemet et Vincent Simon

Photographie de La « messe sur la barricade » à Montreuil. Août 1944.

© Musée d’histoire vivante à Montreuil L’iconographie relative à la Libération de Paris et de sa région, fin août 1944, est particulièrement abondante. La majeure partie de celle-ci est cependant consacrée aux événements survenus dans la capitale. La libération des communes de la banlieue parisienne, moins connue, permet cependant d’approcher des situations locales très diverses. Ainsi en est-il de Montreuil, limitrophe de Paris, appartenant au vaste ensemble des communes de « la banlieue rouge »dirigées par le PCF avant 1939. Deux photographies, prises à Montreuil à la fin du mois d’août 1944, représentent  « La messe sur la barricade » selon une expression utilisée depuis 1982. Cet événement est riche de sens sur la situation de l’époque dans la commune. Son souvenir, longtemps enfoui, est depuis deux décennies célébré localement. Il présente aujourd’hui un intérêt qui peut dépasser le simple usage d’une mémoire locale.En 2004, le musée de l’Histoire vivante à Montreuil a présenté une exposition consacrée à la libération de la commune qui a fait une large place à l’étude de la mémoire de cet épisode. Nous remercions l’équipe du musée, et notamment Eric Lafon, conservateur, de nous avoir autorisé à publier ces deux documents.       Prises à la fin du mois d’août 1944, les deux photographies ont été publiées, sous bénéfice d’inventaire,  pour la première fois en 1982 dans un ouvrage d’histoire locale consacrée à « Montreuil sous bois ». Un bref commentaire «Messe sur une barricade célébrée par André Depierre août 1944» et une simple indication «Photo André Depierre» permettent alors de situer approximativement l’événement, son contexte et son principal acteur. Elles sont, surtout depuis les années 90, régulièrement utilisées dans la presse municipale montreuilloise pour illustrer les articles consacrés à la libération de Montreuil. Cette tardive publication peut s’expliquer tant par la conservation privée des documents que par le regain de références aux épisodes de la Libération de 1944 par la municipalité d’alors. Les deux photographies présentent les mêmes caractéristiques. Maladroitement cadrées, prises dans l’instant, peut-être sous le coup de l’émotion, elles semblent réalisées par un amateur,  furtivement, et alors sans intention de publication. On distingue sur l’une d’elle un prêtre face à l’objectif, disant la messe, tandis qu’au premier  plan, un homme en armes semble monter la garde et poser pour l’occasion. Sur l’autre, des hommes, certains en uniforme et  saluant, tandis que d’autres, la bouche ouverte, semblent chanter. Les deux scènes sont prises à l’air libre, les lieux ne sont ...

Éric LAFON

Photographie de Dukson, « un oublié de l’histoire » de la Libération

Éric LAFON, conservateur au Musée de l’histoire vivante Le général de Gaulle accompagné de Georges Bidault (à gauche) et Alexandre Parodi (à droite) descend les Champs-Elysées. A droite on aperçoit Georges Dukson. Alors que les combats de la libération de Paris viennent tout juste de s’achever, le 25 août 1944 dans l’après midi le général de Gaulle, chef du Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) rétablit la légalité républicaine et l’autorité de l’État. Cependant, il manque au nouveau pouvoir la légitimité populaire. C’est chose faite le lendemain, lorsqu’après avoir ravivé la flamme sur la tombe du soldat inconnu sous l’Arc de Triomphe, l’homme du 18 juin, suivi de membres du GPRF, de plusieurs hauts responsables de la Résistance et d’officiers généraux, effectue la descente des Champs-Élysées sous les acclamations de centaines de milliers de Parisiens. De nombreux opérateurs cinématographiques et des photographes ont immortalisé cet événement gravé désormais dans la mémoire collective comme l’apothéose du chef de la France libre entouré des acteurs majeurs de la Libération. Cependant sur quelques rares clichés qui ne sont pas passé à la postérité, on est intrigué par la présence d’un africain le bras en écharpe qui se trouve en tête du cortège non loin  du général de Gaulle. Il s’agit du sergent Georges Dukson, un « oublié de l’histoire », dont Éric Lafon, conservateur au Musée de l’histoire vivante, nous retrace le parcours. FM C’est en préparant une exposition consacrée au 60e anniversaire de la Libération au Musée de l’histoire vivante (1) que j’ai vu pour la première fois cette page intérieure du magazine, Le Monde illustré, intitulé « il y a un an : ils décampaient. L’anniversaire de la Libération », daté du 25 août 1945. La page du magazine présente une photographie en couleur du général de Gaulle prise aux abords de l’Arc de Triomphe. La photographie est prise le 26 août 1944, alors que le général de Gaulle s’apprête à descendre les Champs-Élysées. On le voit discuter ici avec Georges Bidault (de dos). Il est accompagné des généraux Kœnig et Leclerc. Une photographie intrigante Au départ j’ai retenu ce document parce que l’on distinguait les insignes militaires, les « étoiles » sur le képi des trois personnages principaux : de Gaulle, Koenig et Leclerc. Le moins gradé est le général de Gaulle (deux étoiles) tandis que les deux autres généraux sont militairement ses supérieurs, généraux à quatre étoiles pour Koenig et trois étoiles pour Leclerc. Mais le ...

Nicole

Photographie de la jeune résistante armée de Chartres

Très souvent reproduite dans de nombreux ouvrages consacrés à la Résistance, la photographie de cette jeune combattante prise à l’occasion de la venue du général de Gaulle à Chartres est devenue un symbole de l’engagement des femmes dans la Résistance(1).Alors même que la participation des femmes à la lutte armée était très minoritaire, la très large diffusion de ce cliché va contribuer à occulter la très grande diversité de leur engagement au sein de la Résistance.Mais l’intention du photographe était peut être différente. Peut être voulait-il présenter ainsi une allégorie vivante de la France au combat ? Le 19 août 1944, Chartres est définitivement libérée (2) alors que débute l’insurrection de Paris. La veille le général de Gaulle avait quitté Alger pour Casablanca et en dépit des entraves américaines, avait atterri à Maupertus, non loin de Cherbourg, le dimanche 20 août, avec la ferme intention d’obtenir d’Eisenhower qu’il donne l’ordre à la 2e DB, encore stationnée à Argentan, de marcher sur Paris (3). L’ordre fut enfin donné le 22 au soir et de Gaulle, qui se trouvait alors à Rennes, partit en direction de Paris le 23 au matin. « Passant entre deux haies de drapeaux claquant au vent et de gens criant : »Vive de Gaulle ! « Je me sentais entraîné par une espèce de fleuve de joie. A La Ferté-Bernard, à Nogent-le-Rotrou, à Chartres, ainsi que dans tous les bourgs et les villages traversés, il me fallait m’arrêter devant le déferlement des hommages populaires et parler au nom de la France retrouvée. » (4) La venue du général de Gaulle à Chartres le 23 août 1944 Même si comme le décrit le général de Gaulle, l’accueil des populations est enthousiaste et spontané il n’en demeure pas moins que les arrêts du Général sont programmés. Ainsi, les autorités chartraines avaient été prévenues dès la veille au soir et organisèrent la venue du chef de la France combattante avec la fébrilité que l’on imagine puisque « le Cahier des messages et services des sapeurs pompiers signale que le 22 à dix-huit heures trente-cinq, le camion porteur de la grande échelle était parti place des Épars pour poser des drapeaux sur la Poste » (5). C’est en effet à l’Hôtel de la Poste de Chartres, un des trois centres de la Résistance pendant la libération de la ville, que le général de Gaulle prononcera son allocution. Une estrade fut aménagée sur le perron et une véritable « mise ...

Albert ORIOL-MALOIRE et Frantz MALASSIS

La célèbre photographie des maquisards de Boussoulet autour de leur instructeur

Ce célèbre cliché (1), extrait d’un reportage sur le maquis de Boussoulet, a été réalisé en janvier-février 1944, par un photographe salarié (resté anonyme à ce jour) de l’agence Keystone. Il représente le groupe initial, originaire majoritairement de la Loire, autour de son instructeur l’aspirant Albert Oriol, devant la Maison de l’Assemblée (ancien lieu de culte des protestants) à Boussoulet (canton de Saint Julien Chapteuil en Haute Loire). Revenu sur son département d’origine lors du débarquement de Normandie, ce groupe s’élargit pour constituer la première unité opérationnelle de l’Armée Secrète de la Loire baptisé « GMO 18 juin » Le colonel Oriol-Maloire nous a permis d’identifier toutes les personnes photographiées. A la suite des prénoms et noms, figurent les pseudonymes (en italiques), les professions (2) et les communes d’origine (quasiment toutes de la Loire) des membres du groupe. 1 – Paul Montroy, Paulo, Sury-le-Comtal. 2 – Jean Gagnaire, Carrière, Saint-Etienne. 3 – L’aspirant Albert Oriol, Albert, instituteur, Saint-Etienne, chef du Maquis. 4 – Eugène Sahuc, Cable, métallurgiste, Saint-Etienne. 5 – Louis Dulac*, Lacroix, boulanger, Feurs. 6 – Philippe Mazard, Tony, mineur de fond, Le Chambon-Feugerolles. 7 – Louis Guillot*, Tino, Feurs. 8- Alsacien évadé de l’armée allemande. 9 – Eugène Perrichon, Le Pépé, ajusteur tissage, engagé volontaire de la Grande Guerre, Roanne. Doyen du groupe, sa fille sera infirmière au maquis de l’Armée Secrète « Cassino ». 10 – Maurice Rey, Moussy, Saint-Etienne. 11 – Jean Brunel, Cartier, mineur de fonds, Saint-Etienne. Deux des ses frères seront tués à la défense de Strasbourg (24e Bataillon de Marche) lui même est mort dans les années cinquante de maladie. 12 – Maurice Patin, Maurice, technicien en bonneterie, Roanne, actuel rédacteur du « Résistant de la Loire ». * Louis Dulac et Louis Guillot sont arrivés les premiers au maquis en septembre 1943 Quelques réfractaires, originaires du département de la Loire, avaient été dirigés par les responsables du mouvement « Combat » puis de l’A.S., vers le massif montagneux du Meygal, en Haute-Loire. Une implantation discrète, hors des grands axes routiers, aux abords du village de Boussoulet (près de Saint Julien Chapteuil) en un lieu de repli dans la forêt avoisinante, permettait une existence moins exposée que dans leur région d’origine, le Forez, dépourvue de bois profonds. Le choix était d’ailleurs judicieux car ceux-ci, avec la complicité des habitants (3), purent échapper à une descente de la milice venue encercler la localité puis à un vaste ratissage effectué par les unités ...