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La photographie du buste de Marianne sur la place Edgar Quinet à Bourg-en-Bresse.


Frantz MALASSIS
Roger Lefèvre
Roger Lefèvre
Roger LefèvreColl. Musée de la Résistance nationale-Champigny-sur-Marne

Dans l'article « Questions autour des traces photographiques de la commémoration du 11 novembre 1943 à Bourg-en-Bresse » (cf. La Lettre n°58 de septembre 2009, p. 9), nous avancions plusieurs hypothèses quant à l'origine et à l'usage des deux clichés très dissemblables décrivant cet événement et nous le concluions par un appel aux lecteurs. Appel qui n'est pas resté lettre morte puisque nous avons reçu un courrier très détaillé de Roger Lefèvre, alias Pontcarral, ancien chef de groupe franc de l'Armée secrète de l'Ain - groupement ouest. Auteur de l'un des clichés du buste de Marianne scellé par des hommes d'un corps franc sur le piédestal dégarni de la statue d'Edgar Quinet à Bourg-en-Bresse, les précisions qu'il a pu  fournir dans son témoignage nous ont permis de compléter utilement l'historique de ce cliché démontrant ainsi l'utilité de la rubrique « autour d'une photographie ».Nous le remercions vivement de son aide permettant de cerner au  plus près la vérité historique.

Dans la nuit du 10 au 11 novembre 1943, malgré les patrouilles allemandes, à Bourg-en-Bresse, des hommes d'un corps franc sont parvenus à dresser un buste de Marianne sur le socle de la statue d'Edgar Quinet, récupérée par les Allemands pour les métaux non ferreux. Le piédestal de la statue a été également recouvert d'une inscription tracée à la peinture : « Vive la IVe». Ce coup d'éclat est le fait des frères André et Georges Lévrier (1) et Paul Chanel (2), membres de l'Armée Secrète.

De ce même événement, on retrouve la trace dans deux documents photographiques très dissemblables tant par l’angle de vue que par la composition.

Le premier est une photographie (photo 1) en noir et blanc, en plan moyen, qui assez floue, semble avoir été prise sur le vif en vue d’immortaliser ce coup d’éclat de la Résistance à des fins de propagande.

Le deuxième (photo 2), dont l’un des originaux est conservé au Musée de la Résistance nationale à Champigny-sur-Marne, est un montage colorisé pris légèrement en contre-plongée et largement retouché sur le sujet central (la Marianne, le drapeau et le socle). Au premier regard, on est saisi par la proportion entre le buste et le piédestal qui ne correspond pas aux dimensions des Mariannes que l’on trouve habituellement en mairies et dénonce le trucage.

Si nous n’avions pas pu déterminer qui était l’auteur du premier cliché et dans quelles conditions il l’avait réalisé, en revanche, nous avions pu établir que le montage était dû à M. Bonenséa, photographe de Bourg-en-Bresse aux moments des faits. Il paraissait évident que ce montage ne pouvait passer pour une « preuve » de la réalité de l’événement, mais semblait obéir à une logique un peu différente : non pas celle du reportage, mais celle de la commémoration d’un événement de la Résistance.

Cette hypothèse quoique solide manquait cruellement d’éléments tangibles pour l’étayer. Plusieurs questions restaient sans réponse. Qui était l’auteur du cliché pris sur le vif ? Quels étaient ses liens avec la Résistance ? À quelle date le photomontage a-t-il été réalisé ? Était-il destiné à l’émission, pendant l’occupation, d’une carte postale de propagande pour la Résistance, circulant sous le manteau ? Le témoignage que nous avons reçu de Roger Lefèvre (3), alias Pontcarral, ancien résistant et maquisard de l’Ain sous la responsabilité de Paul Chanel, répond point par point à nos interrogations.

« André Lévrier est passé me voir chez moi le 9 ou le 10 novembre 1943 dans la soirée, comme cela lui arrivait assez souvent. Nous étions membres de la même association sportive bressane, " l’Alouette des Gaules" (…). André était un lutteur (en gréco-romaine) de grande qualité, et avait participé à diverses reprises à des compétitions régionales, et même je crois nationales. Il m’a fait part du projet qu’il avait échafaudé pour la nuit du 10 au 11, dans le cadre qui avait été demandé partout en France aux Résistants : manifester pour se faire mieux connaître de la population. Je lui ai bien sûr proposé mes services, mais il les a sagement refusés : " Nous sommes déjà trois, cela suffit ". Et il a rajouté : " Par contre, si tu peux venir le lendemain matin pour photographier le résultat, ce serait bien ". Pour l’heure, pas d’autre projet précis. Je donne mon accord, bien entendu, ayant à ma disposition un appareil Kodak 6½ X 11 et une pellicule d’avance non utilisée. (…) Le 11 novembre enfin, un peu avant 8 heures du matin, j’arrive sur la place, muni de mon appareil photo. Une vingtaine de badauds sont déjà réunis sur le trottoir, observant le spectacle de deux policiers de la ville, juchés sur le socle où ils sont montés pour tenter de desceller (apparemment sans grande insistance) le buste de Marianne, bien fixé semble-t-il sur le socle ! Ils renoncent bientôt et repartent, sans doute pour chercher du renfort ou des moyens techniques plus appropriés ?...Bien sûr, ils reviendront plus tard. Heureusement pour moi : j’ai failli rater ma photo ! Je m’avance au milieu de la place, non sans quelques remarques de la part des badauds, et je tire deux clichés avant de repartir, sans m’attarder davantage. Mais le 11 novembre à 8 heures du matin, à Bourg-en-Bresse, nous n’avons pas songé qu’il fait encore gris et sombre !...D’où la médiocrité des photos. Le spécialiste Bonenséa, contacté, trouve qu’elles sont indignes de l’événement, et propose à Lévrier de composer un montage, et d’en tirer plusieurs exemplaires : c’est ainsi que je récupère mes pellicules ! Je ne sais pas combien de clichés furent tirés du montage, mais bien sûr je les ai vus alors : format d’environ 14 x 17, bien entendu en noir et blanc. Elles seront remises à quelques résistants, en leur demandant de les vendre en sous-main au profit des maquis ; mais ça ne marchera guère : vendeurs et acheteurs éventuels sont prudents, à une époque où " l’attentisme " prime sur l’engagement... Je me souviens pourtant avoir " vendu " les cinq qui m’avaient été remises par Lévrier. »

Quand aux couleurs du photomontage, Roger Lefèvre confirme quelles ont été rajoutées postérieurement ce qui semblerait confirmer qu’il ait circulé, après-guerre, sous la forme de carte postale comme objet commémoratif.

 Frantz Malassis

(1) André Lévrier alias Lévêque est chef pour l’Armée secrète du secteur de Bourg-en Bresse. Capitaine de la compagnie Lévêque des maquis de l’Ain, il est tué le 12 juillet 1944 à Saint Germain de Béard (Ain).

(2) Paul Chanel alias Bresse est responsable des corps francs du secteur de Bourg-en-Bresse et dépend directement d’André Lévrier.

(3) Dans son ouvrage Souvenirs de maquisards de l’Ain (Saint-Cyr-sur-Loire, Alan Sutton, 2004, 96 p.), Roger Lefèvre reproduit l’un des deux clichés qu’il a pris le 11 novembre avec un court commentaire (cf. p. 9). Dans un autre ouvrage paru la même année chez l’Harmattan Itinéraire d’un jeune enseignant entre trois guerres et trois continents, il évoque les événements du 11 novembre 1943 à Bourg-en-Bresse et à la page 92, il présente côte à côte son cliché et la photomontage de M. Bonenséa.