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Vichy, les Juifs et les Justes. L'exemple du Tarn


Jacques FIJALKOW (dir.)
Toulouse, Edition Privat,, 2003, 303 pages

Alors qu'ont paru récemment deux ouvrages consacrés l'un à la résistance dite de "sauvetage", par une recension biographique des "Justes" de France (1), l'autre à l'Organisation juive de combat (2), les éditions toulousaines Privat publient les actes d'un colloque qui s'est tenu en septembre 2001 à Lacaune dans le Tarn, et dont la thématique d'ensemble portait sur "Vichy, les Juifs et les Justes" à travers l'exemple du département du Tarn.

Dans l'introduction à l'ouvrage Chantal Bordes-Benayoun et Patrick Cabanel reviennent sur l'histoire des divers refuges des Juifs en France pendant la Seconde Guerre mondiale et sur son historiographie ; il s'agit ici de faire le point sur les travaux engagés depuis une quinzaine d'années par le CIREJ (Centre interdisciplinaire de recherche et d'études sur les juifs) de l'Université de Toulouse-le-Mirail. Ces études, sous la forme de monographies locales, s'intéressent en particulier aux phénomènes de persécution et à leur écho dans les populations et les milieux du Sud et du Sud-Ouest, aux relations et aux représentations réciproques entre Juifs et non-Juifs, aux formes de protection et de refuge qui ont permis à des Juifs d'échapper aux persécutions et à la déportation, ainsi qu'à la Résistance juive, à ses valeurs et motivations, à ses formes d'action et à son évolution.

Le choix pour ce colloque de la petite ville isolée de Lacaune, située à 850 m d'altitude, s'explique par le fait que Vichy l'ait désignée comme un lieu d'assignation à résidence de Juifs que le gouvernement voulait éloigner du reste de la population. L'assignation à résidence, peu étudiée jusqu'à présent, comme le montre l'étude de Sandra Marc (p. 49), est une mesure prise par Vichy qui s'inscrit dans le cadre général de la politique d'exclusion et de persécution des Juifs, essentiellement étrangers dans le cas présent. L'assignation à résidence visait, selon les autorités de Vichy, les personnes ayant suffisamment de ressources pour se loger ; en réalité, cette mesure lui permettait surtout d'éviter les dépenses qu'entraînait la gestion des camps d'internement.

Ainsi à partir de janvier 1942 400 personnes qui habitaient originairement à Toulouse ou le long de la frontière espagnole, ont été regroupées à Lacaune, retenue pour son isolement géographique autant que pour ses capacités d'hébergement. Dans son article, Sandra Marc analyse l'événement provoqué par l'arrivée de ces Juifs - événement que les Lacaunais appellent le "temps des Juifs" -, les réactions et les types de relations qu'il a suscité ; la proximité de la vie quotidienne, la nécessité d'échanges, ont peu à peu créé des liens étroits et une réciprocité. Aussi la rafle du 26 août a-t-elle été vécue dans toute sa violence par la population non-juive, provoquant le choc dans un premier temps, puis rapidement l'aide et la cache dans la campagne environnante.

Si la proximité, la quotidienneté, l'habitude des relations entre Juifs et non-Juifs ont entraîné des réactions (et des actions) de sympathie et de solidarité à Lacaune en 1942, Pierre Laborie revient sur le silence des années 1940-1942 face aux mesures antisémites. Rappelant que les expériences sont vécues différemment selon les lieux, les temporalités, les moments, les milieux, il replace le sort des Juifs dans la hiérarchie des préoccupations des Français entre 1940 et 1942 ; les discriminations contre les Juifs sont un "événement qui ne fait pas événement" (p. 24) pour le reste de la population française, choquée surtout par le poids de la défaite et de l'occupation allemande. En 1942, à l'été et à l'automne en particulier, les esprits changent ; les rafles, leur violence, et le sort réservé aux enfants, entraînent, dans un ensemble de ruptures avec Vichy, réprobation et parfois solidarité.

Renée Poznanski s'interroge sur la "dichotomie" entre l'antisémitisme "abstrait" de la société française des années 30 et 40, et le sauvetage, et revient sur "l'indifférence" face aux persécutions : "C'est en définitive sur les contours, les préoccupations et les limites de cette indifférence qu'il convient de s'interroger" (p. 30). Puisant dans des archives multiples et les croisant : journaux personnels de militants juifs, correspondance et circulaires des organisations juives, rapports des renseignements généraux et des préfectures, enquêtes d'opinion d'agents du BCRA (Bureau Central de Renseignements et d'Action, à Londres), elle analyse les perceptions par l'opinion parisienne de la persécution des Juifs. L'absence de réprobation publique ne signifie pas qu'il n'y ait pas eu, avant les rafles de 1942, des actes de solidarités, personnelles le plus souvent. Les relations d'avant-guerre et la "normalité de la vie quotidienne" (p. 41) se sont poursuivies. A partir des rafles, la politique antisémite est directement associée à l'Occupation allemande ; le rejet est plus marqué et les solidarités se développent (administratives, confessionnelles).

Quant à la Résistance juive (c'est à dire en tant que juive, et non la participation des Juifs à la Résistance), Valérie Ermosilla-Pietravalle montre que ses actions combine le sauvetage, qui a été dans un premier temps l'activité principale, avec la participation à la lutte armée à partir de 1943-1944. Affichant une forte identité juive, cette résistance a toujours marqué son attachement à la France et son patriotisme. Ainsi, dans le Tarn, les Éclaireurs Israélites, reconnus officiellement par Vichy, créent des camps, dont l'activité s'oriente rapidement vers le sauvetage des Juifs persécutés. Définitivement clandestins à partir de 1943, les EIF intègre le maquis de Vabre puis participe au Corps franc de la Libération du Tarn.

Enfin, Patrick Cabanel, en se basant sur la liste des "Justes" établie par Yad Vashem, dont il précise qu'elle n'est pas représentative de la réalité sociologique du sauvetage, puisque établie à partir de témoignages de survivants des persécutions, comparent les motivations des catholiques et des protestants. Chez les catholiques, les "Justes" sont davantage des clercs que des laïcs, et ils agissent par compassion et charité chrétienne. Pour les protestants, l'action des pasteurs entraîne celle des paroissiens, paysans, fonctionnaires, commerçants, et de nombreuses femmes participent au sauvetage. Appelant à une étude sociologique plus large, qui dépasserait la liste élaborée par le mémorial israélien, il explique la réaction des protestants par la mémoire huguenote et l'expérience "judaïsante" depuis le XVII° siècle.

Si cet ouvrage s'intéresse avant tout aux relations entre Juifs et non-Juifs, peut-être conviendrait-il de replacer ces actes de solidarité (et ses motivations religieuses ou culturelles) dans l'ensemble plus large des solidarités de la guerre, en particulier au moment où l'instauration du STO place le monde rural (dont la population du Tarn fait partie) devant la nécessité d'aider les réfractaires.

Cécile Vast

Notes
(1) Cf. Dictionnaire des Justes de France, sous la direction de Lucien Lazare, éditions Fayard, 2003
(2) L'organisation juive de combat. 1940-1945, éditions Autrement, n° 84, 2003

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