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Table-ronde autour des rencontres cinématographiques "Les yeux grand ouverts. Images de la résistance et de la déportation"
Organisé par Mémoire et Espoirs de la Résistance et les Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation
Le Lun 11 mars 2002 à l'Auditorium de la Ville de Paris

Introduction

" Les yeux grand ouverts ", c'est sous ce joli vocable que se sont déroulées du 8 au 11 mars 2002 au cinéma du " Palais ", à Créteil -Val de Marne -, des rencontres cinématographiques qui portaient leurs regards à la fois sur la Résistance et la Déportation.

Dans le cadre de cette manifestation, placée sous l'égide des Ministères de l'Education nationale, de la Culture et de la Communication et du Secrétariat d'Etat à la Défense chargé des Anciens Combattants, deux associations, " Mémoire et Espoirs de la Résistance " et " les Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation ", et le " Musée de la Résistance Nationale " de Champigny, ont présenté treize films .

Durant ces journées des " Images " et quelles images !!!.... ont rencontré " nos mémoires " et aussi, de manière souvent prenante et émouvante, la mémoire des témoins présents Mesdames Chombart de Lauwe, Postel-Vinay et Pery d'Alincourt. Ce sont deux historiennes, Annette Wieviorka et Sylvie Lindeperg, qui tour à tour ont présenté les films et animé les débats entre les " témoins - acteurs ", réalisateurs des films et les spectateurs.

Images de " l'indicible ", celles des camps, mais aussi regards forts sur l'engagement et le refus, c'est à dire celui de la Résistance avec le très beau film de Jean Prat, " Le Grand Voyage " qui retrace l'itinéraire de Manuel réfugié politique espagnol, en réalité celui de Jorge Semprun. Quelle émotion quand à la fin du film américain " Sisters in resistance ", Anise Postel-Vinay nous parlera de sa compagne de Résistance et de camp que fut Geneviève de Gaulle Anthonioz qui venait de disparaître quelques jours plus tôt et dont le film nous conte l'engagement dans la Résistance et aussi le calvaire à Ravensbrück..

Ces rencontres avaient débuté le vendredi avec des extraits du film anglais " La Mémoire meurtrie " où Simone Veil, en introduction de ce long métrage, prononce cette phrase : " nous témoignerons jusqu'à notre mort ".

Elles se sont terminées, le Lundi, à l'Auditorium de l'Hôtel de Ville de Paris où tout au long de la journée Jean-Michel Frodon a animé, entouré d'historiens, de professeurs, de cinéastes et de Marie-José Mondzain, philosophe et directrice de recherche au CNRS, des tables rondes portant sur la représentation et la transmission " aux jeunes générations de l'actualité du patrimoine historique et civique légué par les résistants et les déportés ".

Merci aux organisateurs pour cet intéressant " regard sur la mémoire "dont il faut vivement souhaiter, sans doute à une échelle plus modeste, qu'il soit plus fréquent, c'était dans tous les cas, le voeu de nombreux spectateurs.

Jean Novosseloff
Secrétaire Général adjoint de l'association "Mémoire et Espoirs de la Résistance".

Les tables rondes autour des rencontres cinématographiques " Les yeux grand ouverts " Auditorium de l'hôtel de Ville de Paris, 11 mars 2002

La matinée intitulée " 60 ans de représentation des camps nazis et du Génocide " était animée par Annette Wieviorka, directrice de recherche au CNRS, et Sylvie Lindeperg, maître de conférences à l'université de Paris III. Les deux historiennes présentèrent plusieurs extraits de film, en les replaçant dans le contexte de leur production et en montrant comment ces images ont marqué l'évolution des sensibilités. Elles privilégièrent la période précédant Shoah de Lanzmann, car ce film a marqué une rupture cinématographique en mettant au premier plan la figure du témoin (ce qui, dans la mémoire du génocide juif, représentait l'aboutissement d'un processus commencé avec le procès Eichmann au début des années 60).

Les grandes étapes de la représentation de la déportation au cinéma

Les premières Actualités filmées montrant les camps (3 mai 1945) : elles utilisent des images tournées par les Alliés à Bergen-Belsen (un camp atypique, où la mort fut surtout due au typhus), et citent beaucoup Buchenwald, peu Auschwitz (libéré par les Russes). Elles construisent une image de la déportation centrée sur la déportation des résistants. Le sort des juifs n'est pas évoqué. Mais il faut se souvenir qu'à l'époque, les déportés ne sont qu'une partie des " absents " dont les Alliés et le Gouvernement provisoire français improvisent à grand'peine le retour, et qui comprennent aussi les prisonniers de guerre et les STO. L'obsession, à l'époque, est de ne pas faire de sous-catégories (cf. l'affiche : " Ils sont unis, ne les divisez pas " ) ; si un modèle prédomine, dans les Actualités, c'est plutôt celui du retour du prisonnier dans sa famille.

Du point de vue cinématographique, il faut noter la contribution d'Alfred Hitchcock au film du Britannique Sydney Bernstein utilisant des images tournées à Bergen-Belsen : c'est à Hitchcock qu'on doit un plan-séquence montrant dans la continuité un charnier et des notables allemands (amenés de force par l'armée américaine) en train de le contempler, ceci afin de prouver le non-trucage de l'image des cadavres. Bernstein escomptait un effet pédagogique de la projection de son film en Allemagne. Mais le film fut interdit de diffusion pendant la guerre froide. C'est dans les années 80 qu'il sortit accompagné d'un documentaire sur son histoire (La mémoire meurtrie, 1985).

Frieda, de Basil Dearden (1947): la séquence présentée de ce film britannique évoque la culpabilité collective des Allemands, mais sous une forme bien particulière : c'est une femme, Frieda, qui prononce l'aveu : " Nous savions tous ". Les stéréotypes liés à la condition des femmes de l'époque (elles deviennent le symbole de la " passivité " complice d'une population) empêchent une analyse plus fine. Dans le même ordre d'idée, on peut rappeler qu'au procès de Nuremberg, les témoignages de victimes de la déportation émanèrent très peu des femmes, alors que leur présence parmi les bourreaux était mise en exergue (cf. " la chienne de Buchenwald "). Cependant, il faut complexifier l'analyse, car la réception du film différa en Angleterre et aux États-Unis. Le public britannique, encore imprégné de l'hostilité aux " Boches ", ne fit pas de distinction fondamentale entre Frieda et son frère, nazi et gardien d'un camp ; pour les Américains, installés dans un imaginaire de guerre froide où une partie de l'Allemagne retrouvait le statut d'allié, l'héroïne personnifia la " bonne " allemande, par contraste avec son frère.

Verboten, de Samuel Fuller (1958) : la séquence dans laquelle est reconstitué le procès de Nuremberg montre bien les différences de conception du procès entre Américains et Européens. Les premiers voulaient le centrer sur " le crime contre la paix ". Ce sont les seconds qui ont insisté pour qu'y soient évoqués les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité. L'importance énorme prise par le souvenir du génocide juif aux États-Unis dans une période plus récente a fait oublier cette première phase.

Nuit et Brouillard, d'Alain Resnais (1955), film capital à plus d'un titre : réalisé à l'initiative du " Réseau du souvenir " (qui fut aussi à l'origine de la Journée nationale de la Déportation), ce film était destiné aux scolaires. Il fut projeté dans de nombreuses écoles de France et d'Europe, y compris l'Allemagne. Il en vint à symboliser, jusqu'à la sortie de Shoah de Lanzmann, la mémoire filmée du phénomène concentrationnaire (cf. Les Années de Plomb de Margarethe Von Trotta, où deux jeunes Allemandes sont bouleversées par le film de Resnais). Or, il ne différencie pas camps de concentration et d'extermination. Par ailleurs, il comprend plusieurs images " fausses " : la vie des camps est illustrée par des scènes de Bergen-Belsen après la libération ; la rafle du Vél' d'Hiv' est représentée par une photo de collaborateurs dans le vélodrome, arrêtés en 1944 ; l'arrivée du convoi de déportés est illustré par une séquence extraite du film La dernière étape de Wanda Jakubowska ; le gendarme français sur la photo du camp d'internement des juifs à Pithiviers a été " maquillé " par Resnais suite à une demande de la censure. Le plus intéressant est de noter que cette censure, connue à l'époque, n'a été relevée que par un seul éditorialiste, Doniol-Valcroze, alors que la presse s'est mobilisée pour défendre le film quand l'Allemagne a voulu en empêcher la projection à Cannes.

Le rôle pédagogique des films consacrés à la déportation

L'après-midi, animé par Jean-Michel Frodon (critique de cinéma au Monde), était consacré à deux tables-rondes où des historiens et des pédagogues côtoyaient des professionnels du cinéma (dont Arnaud Despléchin et Caroline Champetier) et une philosophe, Marie-José Mondzain ; ils étaient invités à commenter des extraits de films, pour la plupart présentés lors des rencontres. De ces échanges, on retiendra surtout des remarques sur l'apport du récit cinématographique, des images et des émotions qu'il produit, au discours et à l'explication historique, dans l'enseignement de la déportation.

Marie-José Mondzain, dans son intervention, insista sur le piège de l'émotion, auquel nous assimilons hâtivement la force des images. En effet, toute émotion est strictement individuelle. Ce que nous pouvons partager d'une oeuvre, ce n'est pas l'émotion qu'elle suscite en nous, mais la construction du sens de cette émotion. Bref, selon son expression, " méfions-nous des films qui font pleurer tout le monde ", et préférons-leur ceux qui suscitent l'exégèse la plus riche. Ce qui revient à dire, lorsqu'on parle d'oeuvres de fiction : méfions-nous des dispositifs narratifs visant à créer une identification et préférons-leur les oeuvres cultivant une stratégie de l'écart.

Cette intervention venait en écho de commentaires sur les extraits de film projetés, où une majorité de participants critiquèrent La vie est belle de Roberto Benigni - précisément au nom de la logique brutale d'identification défendue dans le film (entre le jeune héros et les spectateurs adolescents). Cependant, l'historienne Annette Wieviorka rappela que les jugements esthétiques d'une élite cinéphile adulte ne peuvent dispenser d'une réflexion concrète sur la pédagogie à employer à l'égard des adolescents en fonction de l'offre de l'industrie du cinéma.

L'exemple du Journal d'Anne Frank, qui a servi de vecteur de la mémoire de la déportation auprès de générations de collégiens, en jouant sur l'identification, montre par ailleurs qu'on ne peut formuler de jugement dans l'absolu, mais par rapport au public visé. Pour Maryvonne Braunschweig, professeur de collège ayant travaillé avec ses élèves sur le film Au revoir les enfants de Louis Malle, et pour l'historien Antoine Prost, il convenait d'abord de réfléchir aux usages pédagogiques des films consacrés à la déportation (films entiers ou extraits seulement), en fonction de l'âge des élèves. Comment transmettre la connaissance de la déportation et, partant, celle de valeurs humanistes fondamentales, sans pour autant traumatiser les élèves par ce que l'on montre, ni les culpabiliser, si ce n'est par des " moyens détournés " et par la médiation des oeuvres d'art, le cinéma, certes, mais aussi la littérature, la poésie ou le théâtre ? Du côté de l'enseignant, quels langages utiliser, quels mots choisir, quels types de discours privilégier ?

Rappelant avec force qu'une des dimensions de la pédagogie est de créer chez les élèves une expérience morale, Antoine Prost, citant Ernest Lavisse (" Il ne suffit pas d'apprendre l'histoire par coeur, il faut l'apprendre avec le coeur ") associa l'identification nécessaire aux valeurs et aux expériences du passé, par l'émotion et par l'empathie, à l'obligation d'expliquer et de faire comprendre à l'aide du discours raisonné. L'émotion suscitée par une oeuvre d'art et la raison du discours de l'historien ne s'opposent pas, elles se complètent.

Bruno Leroux et Cécile Vast

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