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Opinions et comportements politiques dans le Calvados sous l'occupation allemande


Jean Quellien
Caen, Edition Presses universitaires de Caen, 2001, 511 pages

Voici une monographie stimulante sur le département qui permit au général de Gaulle, de retour en France le 14 juin 1944, de passer un premier test positif de popularité auprès des Français. Dans la lignée des travaux de Pierre Laborie sur l'opinion publique pendant les années noires, Jean Quellien confirme le peu de valeur du cliché opposant une masse attentiste et amorphe et deux minorités agissantes - résistants et collaborateurs - d'égale importance.

S'appuyant sur un dépouillement quasi exhaustif des archives françaises et allemandes, il mène son enquête sur deux fronts : le repérage des courants d'opinion dominants, mais aussi de toutes les manifestations d'opposition ou de soutien de la population qui, sans être assimilables à un engagement véritable, n'en traduisent pas moins sa capacité de réactivité -ou au contraire d'accommodation - sous le choc de la guerre, de l'occupation et de Vichy.

Le Calvados, bastion d'une droite conservatrice oscillant entre la confiance donnée aux notables et le recours à l'homme providentiel, pouvait paraître une terre d'élection pour la Révolution nationale. Or, les Calvadosiens opèrent très vite la distinction entre le Maréchal et le régime qu'il instaure. Au premier, ils garderont un attachement sentimental jusqu'en 1944, alors que la Révolution nationale subit dès 1941 une désaffection patente, sauf pour une part de la paysannerie.

Jean Quellien remet pertinemment au premier plan le poids de l'occupation. Il relève que la précocité remarquable de la germanophobie, de l'anglophilie, mais aussi d'un sentiment favorable au " gaullisme ", très majoritaire dès 1941, est un trait commun aux départements côtiers, du Pas-de-Calais à la Bretagne, c'est-à-dire ceux où la densité des troupes allemandes est très supérieure à l'intérieur de la zone occupée.

Par-delà le sentiment intime de la population, ce sont les actes concrets manifestant l'audience respective de la collaboration et de la Résistance qui sont révélateurs. Le cercle des collaborationnistes militants, qui subit des mutations classiques (déclin quantitatif à partir de 1942, les élites laissant alors place à des jeunes peu éduqués) se heurte dès l'origine à de multiples manifestations d'hostilité de toutes les couches de la société : faible audience des conférences, vexations et brimades à leur égard, " accrochages " et parfois bagarres. D'où l'invitation à rééxaminer, pour le moins, les conclusions de Philippe Burrin sur l'existence d'un assez large courant favorable à la collaboration en zone occupée en 1940-42, sans doute trop axées sur des données concernant les élites urbaines.

A contrario, la Résistance réussit son ancrage social.. La densité d'occupation, la géographie défavorable aux maquis, accompagnée d'une répression féroce pendant toute la période d'attente du débarquement, expliquent sans doute largement la faiblesse relative des effectifs homologués des organisations clandestines. Mais dès 1940-1941, à côté de groupes clandestins ultra-minoritaires, recrutant à droite et se livrant à des actions purement militaires (renseignement), coexistent des formes d'opposition de la population, ouvertes et spontanées, plus fréquentes (coupures de câbles téléphoniques) ou spectaculaires (hommages aux aviateurs alliés abattus) que dans la moyenne des départements occupés. Dans les années suivantes, cette " résistance civile " mute en se rapprochant des mouvements clandestins, avec lesquelles elle coopère désormais, dans des actions clandestines et non plus spectaculaires (aide aux réfractaires du STO, aux aviateurs alliés rescapés). Jean Quellien confirme ainsi les analyses de François Marcot (1) sur l'existence d'une " résistance-mouvement " débordant la " résistance-organisation " et sans laquelle la survie de celle-ci, en 1943-1944, serait impossible.

Cependant, les relations entre ces deux composantes ne sont pas inconditionnelles, comme le montre la désapprobation rencontrée par les sabotages et attentats, jugés inadaptés aussi bien en 1942 qu'au 1er semestre 1944. Et s'étant perçus beaucoup plus " occupés " que " vichyssois ", les Calvadosiens seront peu sensibles au désir de refondation de la Résistance, rejetant ses candidats dans les scrutins de 1945-46. En revanche, leur " gaullisme " relève d'une adhésion profonde (reportée à la libération sur le MRP), qui prendra tout son sens après 1958 : c'est le Général qui leur permettra alors de concilier tradition " césaro-démocratique " et culture républicaine dans une adhésion débordant largement la droite traditionnelle.

Bruno Leroux
Directeur historique de la Fondation de la Résistance

Notes
1. Cf actes du colloque La Résistance et les Français, PU Rennes, 1995 pp 254-255.

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