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L'occupation allemande en France. 1940-1944,


Ahlrich MEYER
Toulouse,, Edition Privat, 2002, 238 pages

" Avec le recul historique, écrit Ahlrich Meyer à la fin de son ouvrage, force est de constater que le développement de relations politiques amicales entre l'Allemagne et la France, après la Deuxième Guerre mondiale, se fondait entre autres sur l'occultation de la douloureuse période de l'Occupation, de 1940 à 1944, alors même qu'elle est un élément commun de l'histoire des deux pays au XX° siècle ". Cette " occultation " - dont la quasi-absence de poursuites judiciaires en RFA après-guerre contre d'anciens responsables de crimes de guerre commis en France, en particulier celui d'Oradour - a largement contribué à créer dans l'opinion allemande une image légendaire de l'occupation allemande en France.

Elle s'est traduite par un déficit des recherches historiques sur la présence allemande à l'Ouest, entretenant ainsi une profonde méconnaissance de la réalité de l'Occupation en France, et des stéréotypes " idylliques " - et rassurants pour les générations d'après-guerre - de la présence militaire allemande à l'Ouest.

En cherchant à dépasser le débat des années 1970-1980 qui partage l'historiographie allemande du nazisme entre intentionnalistes et fonctionnalistes, et en portant le regard sur les acteurs, les responsables, leurs marges de liberté et de possibilité, Ahlrich Meyer inscrit son étude de l'occupation allemande en France dans la voie ouverte par l'historien Christopher Browning . Quelle a été la réalité de l'attitude de l'armée allemande en France ? Quelles ont été la nature et l'ampleur des politiques de répression ? Quels étaient leur fondement idéologique ? Quelle représentation les militaires allemands avaient-ils de la Résistance ?

Chronologie et fondement idéologique de l'administration militaire et policière allemande en France

En appuyant ses recherches sur les archives allemandes essentiellement Ahlrich Meyer établit une chronologie fine de l'évolution de l'occupation allemande en France, en la situant toujours dans le contexte plus large de l'occupation de l'Europe.

Tout d'abord, trois organes allemands d'occupation se chevauchent, dont l'objectif est d'instaurer une surveillance administrative des autorités françaises, un contrôle économique et l'exploitation des ressources du pays occupé. Au commandement militaire en France (Otto von Stülpnagel jusqu'en février 1942, remplacé ensuite par son cousin K . H. von Stülpnagel), qui détient le véritable pouvoir territorial, s'ajoutent l'ambassade d'Allemagne à Paris et le commando spécial de la Sipo-SD (police de sûreté et de sécurité). Par ailleurs, face au développement de la Résistance, les forces militaires allemandes étant insuffisantes, la collaboration de la police française dans la politique d'occupation a été largement développée.

Dans ce livre Ahlrich Meyer confirme la séparation de la chronologie en deux grandes périodes, qui correspondent certes à l'évolution de la guerre, mais aussi à un durcissement de nature idéologique de la répression et à la mise en place de la " Solution finale ". Ahlrich Meyer situe en effet toujours la France à l'échelle de l'Europe occupée. Ainsi, de 1940 à 1942, Werner Best, le chef d'administration de guerre auprès du commandant militaire, établit une " administration de surveillance " qui suppose la collaboration entière des autorités françaises dans l'administration policière.

De fait cette collaboration est encouragée pour " faire mieux passer " la politique répressive de l'administration de guerre. Aussi Werner Best laisse-t-il la responsabilité aux autorités françaises de la lutte contre la Résistance et de sa répression (arrestations), ainsi que de l'application des mesures puis des persécutions antisémites : organisation de la première rafle à Paris le 14 mai 1941, au cours de laquelle 3000 personnes sont arrêtées. Avec les premiers attentats contre les soldats allemands perpétrés par des résistants communistes en août 1941, Werner Best doit adapter son concept " d'administration de surveillance ". D'août 1941 au milieu de l'année 194, la répression contre la Résistance se traduit dans un premier temps par des exécutions d'otages, à titre de représailles. Ces exécutions d'otages envenimant les relations de collaboration avec Vichy, Werner Best fait appliquer une autre forme de répression, élaborée par le " décret Keitel " du 16 septembre 1941 : la déportation vers l'Est - sans pour autant abandonner les exécutions d'otages. Ahlrich Meyer montre bien dans son étude le fondement idéologique antisémite et anticommuniste qui sous-tend cette politique répressive. En effet, les exécutions et les déportations visent avant tout des Juifs étrangers et communistes :

" Ainsi, écrit-il, la population juive de la zone occupée était devenue la première victime des mesures de terreur allemandes. A partir de ce moment-là, à chaque action de la Résistance, la réponse fut l'annonce de la déportation à l'Est de "Juifs et de communistes". Les exécutions d'otages se poursuivent à une moindre échelle. " (p. 34)

La nomination du SS Karl Oberg à la tête des services de sûreté et de sécurité du Reich en France, en avril 1942, met fin à la politique " d'administration de surveillance " mise en place par Werner Best. Dès lors, à une collaboration surveillée qui laissait peu d'autonomie à la police française, se substitue une collaboration beaucoup plus poussée, entérinée par les accords Oberg-Bousquet de juillet 1942. La SS et la Gestapo s'appuient sur une plus grande implication de Vichy dans la répression et la lutte contre les résistants, ainsi que dans la participation aux rafles et aux déportations en zone occupée et en zone libre.

Une vision globale de la répression allemande en France

A travers son livre, Ahlrich Meyer invite à penser la politique de répression allemande en France dans un contexte plus large, tant idéologique que d'exploitation de l'Europe nazie. Pour lui la lutte contre la résistance, à partir du milieu de l'année 1941 est étroitement liée à la mise en place progressive de la " Solution finale ". ces deux aspects de la répression sont, selon lui, indissociables et s'expliquent en particulier par un fondement idéologique marqué, qui rejoint en France le volontarisme idéologique et antisémite du gouvernement de Vichy.

Rappelant les travaux de Serge Klarsfeld qui avait établi que sur 80000 Juifs victimes de la " Solution finale " en France, 8000 étaient français de longue date et 72000 d'origine étrangère, Ahlrich Meyer montre le consensus idéologique des objectifs nazis et de Vichy : " A partir de décembre 1941, explique-t-il, les Allemands choisirent systématiquement des Juifs d'Europe de l'Est et des membres d'organisations communistes pour leurs exécutions d'otages dans le cadre de la lutte contre une résistance française de plus en plus importante. A partir de ce moment-là, la politique allemande de répression fut directement liée à la persécution des Juifs. Les déportations de la première moitié de l'année 1942 furent qualifiées de "mesures d'expiation". "

Autant pour les persécutions antisémites que pour la répression des résistants, Ahlrich Meyer met à mal l'idée (reçue) selon laquelle la répression a été moins brutale à l'Ouest qu'à l'Est (" méthodes polonaises "). Il démontre au contraire que la logique de violence est inhérente à l'idéologie nazie, qu'elle est partagée aussi bien par les militaires que par les fonctionnaires allemands à Paris, et que le lien étroit entre la lutte contre la Résistance, la déportation à partir de 1941, et la brutalité des massacres de l'année 1944, le prouve largement. " Le programme européen d'extermination des Juifs relie les différentes stratégies d'oppression des populations non-juives des pays occupées " (p. 69).

Une représentation de la Résistance " surdéterminée idéologiquement "

De même, concernant l'image que les Allemands avaient de la Résistance, Ahlrich Meyer montre combien cette image était " surdéterminée idéologiquement " (p. 97) et qu'elle était davantage liée aux besoins de répression qu'à une représentation réaliste de cette Résistance. Selon les autorités allemandes, l'image s'est imposée dès la fin de 1941 dune résistance sans aucun soutien dans la population, limitée à un petit groupe " judéo-communiste ", sans grande menace, et dont les attentats n'auraient pour seul but celui d'entraîner des mesures de représailles afin de dresser la population contre l'occupant. Cette image aveugle, et jusqu'en 1943, les Allemands accordent peu d'importance aux formes non-armées de la Résistance, qui restent majoritaires, ainsi qu'aux résistants non-communistes. Partant, Ahlrich Meyer remet en question la thèse de Stéphane Courtois selon laquelle la logique " attentats-répression " entraînerait une escalade réciproque. Cette représentation a essentiellement une fonction légitimante pour les autorités allemandes, et il convient de considérer la répression contre les communistes non de façon isolée, mais dans un contexte plus large d'un ensemble répressif. Les Allemands parlent eux-mêmes de " mesures d'expiation ".

Quelques monographies

C'est en tenant compte de cette grille de lecture qu'Ahlrich Meyer analyse plus en détail, sous la forme de monographies, un certain nombre d'événements qui ont scandé l'intensification et le durcissement de la répression allemande en France. Ainsi du procès de la Maison de la Chimie (printemps 1942), des exécutions d'otages d'août et de septembre 1942 dont Ahlrich Meyer explique qu'elles servent aussi de base à des expériences sur les exécutions de masse et qu'elles s'inscrivent dans une logique de meurtres de masse, ou des rafles de Marseille de janvier 1943. Ainsi des opérations de massacres d'avril 1944 contre les maquis de l'Ain et de Dordogne, pour lesquelles le rôle de la Wehrmacht est central ; les résistants, qualifiés de " francs-tireurs ", ont été discrédités afin de franchir plus facilement les limites du droit. L'historien allemand explique comment, en 1944, les militaires allemands ont reproduit une stratégie de terrorisation des populations civiles pratiquée en Europe de l'Est : " C'est pourquoi, jusqu'à aujourd'hui, on ignore si les Allemands ont emprunté leur stratégie de lutte contre les partisans français à leur "expérience à l'Est" ou s'ils l'ont développée en France même. " (p. 176).

Il montre aussi, comment en Dordogne, les actions contre les maquis étaient systématiquement accompagnées de massacres de populations civiles et de Juifs réfugiés dans les villages avoisinants. Enfin, en reconstituant minutieusement le déroulement du massacre d'Oradour-sur-Glane, il confronte l'image légendaire d'une Wehrmacht " propre " à la réalité de sa participation aux crimes de guerre en France.

Cécile Vast


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