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Les juifs dans la Résistance


Monique Lise Cohen et Jean-Louis Dufour (dir)
Edition Tirésias, 2001, 214 pages

Cet ouvrage des Editions Tirésias constitue les actes d'une série de rencontres et de conférences qui se sont tenues à l'initiative de la Maison de l'Histoire de Blagnac, de la Bibliothèque Municipale de Toulouse et du CRIF de Midi-Pyrénées en mars 1997. Rassemblant à la fois des études historiques, des témoignages et des débats, il constitue une utile mise au point sur la Résistance juive en général, avec des développements particuliers sur certains aspects locaux, notamment les maquis juifs du Tarn - que justifiait la tenue du colloque en Midi-Pyrénées.


De cet ensemble, retenons en particulier le rappel par Annette Wiewiorka de la diversité de la Résistance juive : Français juifs dans les mouvements de Résistance, juifs communistes de la MOI, juifs sionistes, juifs se consacrant au sauvetage des enfants, juifs luttant pour leur propre survie individuellement...Ces catégories recouvrent en fait des différences de relation à l'identité juive (degré d'assimilation à la France), de perception plus ou moins claire du génocide et de représentation de l'avenir : réintégration dans la France républicaine, espoir d'un foyer juif en Palestine, d'une société communiste.

La communication d'Alain Michel, consacrée aux " problèmes d'identité dans la Résistance juive ", permet de compléter et de nuancer ce tableau. Elle met d'abord en garde contre l'assimilation trop rapide des motivations aux appartenances. Dans l'affiliation à tel ou tel organisme clandestin, on ne doit pas oublier la part qu'ont pu jouer, parfois, le hasard ou l'opportunité. A. Michel évoque aussi (p. 57) les analogies entre communisme et sionisme qui expliquent leur pouvoir d'attraction sur les hommes et des femmes attachées à leur identité juive : d'une part, pour bien des juifs d'Europe, l'idéal communiste était comme une sorte de nouveau messianisme. D'autre part, on peut se demander si, inversement, le sionisme ne constituait pas un idéal tout aussi abstrait que le communisme pour certains militants qui renoncèrent finalement à tout départ en Palestine.

Enfin, Alain Michel souligne le caractère évolutif de la conscience juive chez les juifs communistes, en distinguant quatre périodes. Au moment du pacte germano-soviétique, leur judéité s'exprime par le choix que font beaucoup de privilégier la lutte contre le nazisme, ce qui se traduit par un choix d' " intégration " (c'est à dire engagement dans l'armée française, y compris chez des juifs étrangers) ; après la défaite et jusqu'en juin 1941, ils sont pris dans les contradictions de la stratégie antivichyste plutôt qu'anti-allemande du PCF, développant des actions de solidarité avec les juifs persécutés mais sans oser donner de consignes face à la première rafle opérée sur l'ordre des Allemands (mai 1941). A compter de juin 41, l'idéal communiste revient au premier plan dans les mots d'ordre puisque la lutte pour aider l'URSS, patrie du communisme, paraît le plus sûr moyen de vaincre les ennemis des juifs. Mais à partir des rafles de l'été 42 se produit une nouvelle inflexion : tandis que le PCF se tourne de plus en plus vers des mots d'ordre " nationaux " pour rallier les Français, la section juive de la MOI, tout en suivant les directives générales du parti (lutte armée dans les villes), développe face au génocide une action propre (hébergement clandestin des enfants, presse) qui l'amène à affirmer davantage l'identité juive et à se rapprocher des organisations sionistes. Elle participe ainsi à la fondation du CRIF dont un des buts est la création d'un foyer juif en Palestine.

A l'échelon régional, il faut signaler l'exposé très clair de Jean Estèbe (malheureusement décédé depuis) sur les réactions des " juifs et non juifs en milieu toulousain face aux persécutions et aux déportations ". Dans l'échelle des responsabilités de l'application locale de la politique antisémite, c'est l'appareil traditionnel de l'Etat qu'il faut placer au premier rang (administration préfectorale, police et gendarmerie, SNCF, etc), ensuite seulement les administrations créées par Vichy (antenne du Commissariat aux Questions juives), et enfin les groupes collaborationnistes (milice). Quant au sauvetage des Juifs, il est chronologiquement d'abord à attribuer à une prise de conscience progressive des Juifs eux-mêmes, à un moment où le reste de la population est encore indifférent aux persécutions ; tout change, chez celle-ci, à la suite de la prise de position des évêques (Saliège, Théas) à l'été 42.

La question des maquis juifs du Tarn fait l'objet de développements croisés : une étude (Valérie Ermosilla-Piétravalle) est encadrée par le témoignage d'un résistant juif sur son itinéraire avant son arrivée dans le Tarn (David Blum), et celui d'un membre du peloton juif du Corps Franc de la Montagne Noire (Henri Broder). Ces différents apports constituent un enrichissement substantiel, mais des contradictions qui émergent des débats laissent à penser qu'une synthèse reste à faire sur le sujet.

Il est vrai que, comme dans nombre de rencontres où historiens et acteurs en viennent à dialoguer, des points d'histoire en apparence marginaux se révèlent des enjeux de mémoire essentiels pour les témoins. Sur la mémoire de la résistance juive en général, on retiendra surtout l'aperçu donné par Serge Klarsfeld de son enquête exemplaire relative aux fusillés du Mont-Valérien, qui aboutit à une remise en cause des chiffres consacrés par la mémoire officielle et matérialisés par une plaque. Elle lui permit de déconstruire le chiffre arbitraire des 4500 fusillés et, en rapprochant le nombre de Juifs fusillés du total réel (175 sur 1007, suivant les travaux les plus récents), de rappeler l'importance du sang versé par les Juifs de France dans le combat résistant.

En conclusion, il faut souligner que cette publication se situe dans la droite ligne de la remarquable politique éditoriale poursuivie par les éditions Tirésias depuis plusieurs années dans le domaine de la mémoire et de l'histoire du XXe siècle, marquée notamment par des inédits ou des rééditions judicieuses concernant la résistance - notamment la résistance des étrangers en France (cf Ces Femmes espagnoles... de N Catala, Les Francs-Tireurs et les Garibaldi de R Molis, Un allemand dans la Résistance de G. Leo).

Bruno Leroux
Directeur historique de la Fondation de la Résistance

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