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Les Français des années troubles (nouvelle édition augmentée)


Pierre Laborie
Paris, Edition du Seuil (collection Points Hiistoire), 2003, 286 pages

 

Depuis une vingtaine d'années le regard porté sur la France pendant la seconde Guerre mondiale se focalise sur Vichy, sur sa participation à la Solution finale, sur ses complicités ou sur les "affaires" des grands chefs résistants. Ce faisant il se détourne quelque peu de l'effondrement de 1940, du poids de l'occupation allemande et de la place de la Résistance. Parmi d'autres les travaux de Pierre Laborie reviennent sur ces événements et inscrivent leur étude dans une "histoire du très contemporain" qui cherche à comprendre les usages et les formes d'appropriation du passé, de 1940 à nos jours. Dépasser les lectures strictement politiques, éviter les jugements rétrospectifs et les lectures anachroniques et tenter de décrire le "champ de la réception" à travers les attentes, les manières d'être ou les modes de présence au monde au moment où les événements sont vécus, peut aider à restituer leur résonance et leurs multiples interprétations. Ainsi de l'effondrement de 1940 et de l'idée de Résistance étudiés à travers le vécu d'Emmanuel Mounier, d'André Malraux et des Français à la Libération.

"Esprit en 1940 : usages de la défaite"

Quelle signification donner au choix d'Emmanuel Mounier de faire paraître entre 1940 et 1941 sous Vichy la revue Esprit ? Faut-il y voir une continuité logique avec les aspirations de l'avant-guerre et les idées des non-conformistes ? Pour Pierre Laborie la confrontation des sources écrites entre 1940 et 1941 - correspondance personnelle, textes aux sens cachés publiés en France et dont les mots décodés diraient d'autres choses, articles parus librement sans masques en Suisse - oblige à s'interroger sur la façon dont Mounier et les intellectuels d'Esprit lisent la défaite. Elle est reçue dans un "réseau imbriqué d'influences, d'héritages culturels, de fidélités au passé, de perceptions et d'attentes, [qui] a tissé une sorte de "culture de la défaite", caractéristique des troubles de la France moyenne pendant l'été 1940." (p. 131) Au-delà de la défaite militaire, pensée comme une rupture de l'Histoire, elle parachève pour Mounier un processus de décomposition de la société, elle signifie la fin d'un monde et l'entrée entière dans le futur d'un monde nouveau. Il serait intéressant de comparer cette lecture de la défaite à celle des premiers résistants...

"Honneur inventé ou invention du futur ? Mémoire et appropriation de la Résistance à la Libération"

À l'autre extrémité de la guerre, entre 1944 et 1945, comment comprendre l'identification forte et brève des Français à la Résistance ? L'explication par le mythe de la nation en Résistance destiné à retisser l'identité nationale, par la nécessité de se déculpabiliser face à ce qu'auraient été les comportements peu nobles des Français sous l'Occupation, ou par l'oubli propre aux mauvaises consciences, a ses limites. Pourquoi les Français ont-ils eu besoin de se "penser résistant" ? Pour Pierre Laborie il faut revenir à l'imaginaire généré par la Résistance, autant à travers ses souffrances que par les espoirs qu'il suscite, et par les possibles qu'il représente. "Dans la France de la Libération, l'appropriation de la Résistance [par les Français] est une tentative de réappropriation du futur." (p. 282)

"André Malraux et l'expérience de la Résistance"

Dans les écrits d'André Malraux postérieurs à la Libération (discours, Anti-Mémoires), les références à la Résistance sont nombreuses et répétées, et tiennent une place singulière. L'écrivain ne s'est pourtant engagé dans la Résistance que trois mois avant le débarquement, prolongeant cet engagement dans le commandement de la brigade Alsace-Lorraine sous le pseudonyme du colonel Berger. L'analyse que propose Pierre Laborie du rapport qu'entretient Malraux à la Résistance va bien au-delà de la reconstitution chronique de sa participation à la Résistance, ou de la part respective de la mystification et de la réalité. Tout en resituant la découverte de la Résistance dans la vie - les vies ? - de Malraux, il montre que dans ce rapport à la Résistance se croisent les grands thèmes de l'oeuvre de Malraux : le rapport à la nation, au peuple, à la fraternité, à la mort à laquelle la Résistance donne un sens, le rapport à l'Histoire, aux mythes, et à la nécessité de la mythologie pour faire vivre les hommes. "En luttant pour les rêves des hommes, la Résistance a été, pour Malraux, un dialogue de chaque jour avec la mort, une confrontation qui dépasse l'événement et transfigure des vies en les affrontant à l'absolu." (p. 95).

Cécile Vast


 

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