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Histoire de la Résistance


Olivier Wieviorka
Paris, Edition Perrin, 2012, 575 pages

Cette synthèse très informée est comme une sorte de livre en miroir de celui de Jacques Semelin, Persécutions et entraides dans la France occupée (Les Arènes/Le Seuil, 2013) sur les modalités du sauvetage des Juifs de France. Centrée sur la résistance organisée,  c'est une histoire politico-militaire dans la lignée des travaux d'Henri Noguères, avec bien entendu des problématiques plus récemment explorées (sociologie, mémoire) et surtout l'apport considérable des archives accessibles depuis trente ans, y compris les derniers travaux universitaires dirigés par l'auteur (sur les Glières, le STO, les Délégués militaires régionaux).

En fonction de cette approche, l'auteur choisit de ne pas s'appesantir sur d'autres aspects de la Résistance, en particulier ceux qui constituaient le chapitre « anthropologie de la vie résistante » du Dictionnaire historique de la Résistance. Du coup, ce n'est pas chez lui qu'on trouvera trace des travaux de Roderick Kedward (sur la résistance en zone sud et les maquis), mais plutôt dans la partie « Résistance » de la synthèse de référence de Julian Jackson La France sous l'occupation[1].  On pourrait faire la même remarque à propos des travaux de Jean-Marie Guillon et de François Marcot sur les relations entre résistance et communautés rurales en 1943-1944[2]. Sans parler évidemment des dernières recherches sur l'identité et le légendaire de la Résistance faites par Cécile Vast.

L'auteur ne cache pas les désaccords qui le séparent à l'occasion d'autres chercheurs, par exemple Laurent Douzou sur la question de l'influence des communistes dans les mouvements de zone sud, ou Claire Andrieu sur l'importance de l'engagement des femmes ou la portée du programme du CNR. Celui sur lequel il insiste le plus est certainement le plus éclairant : il réfute (p 104) la notion de « résistance-mouvement social » forgée il y  a quinze ans par François Marcot et reprise dans le Dictionnaire historique de la Résistance,  pour désigner un phénomène collectif englobant, en 1943-1944, les résistants organisés, leurs soutiens occasionnels et tous ceux qui participent à un vaste mouvement de désobéissance civile à Vichy, en particulier en réaction au STO. Il  reproche à cette conception de revenir à « laver les Français du péché d'attentisme » ; « elle nivelle les mérites en hissant d'humbles actes d'opposition à la hauteur d'exploits héroïques » (ibidem). Plus loin, l'auteur considère que confondre ceux qui aident ponctuellement la Résistance avec « l'engagement durable » des résistants c'est risquer de cautionner la mémoire gaulliste de « la France résistante » (p. 436).

Autant dire que sa position sur la société française des années noires nous semble à l'exact opposé non seulement des chercheurs précités (Jackson allait même jusqu'à parler d'une « société de résistance »), mais aussi de Jacques Semelin. Significativement, dans le très court chapitre consacré à la Résistance et les Juifs, il part d'un constat similaire à ce dernier : le mérite du sauvetage revient bien très majoritairement à des « Français ordinaires » (p 237) et non à des organisations clandestines... mais on n'en saura pas plus sur la façon dont il faut qualifier leur action, rejetée hors du champ de son livre.  Il est vrai que si « réactivité sociale » il y a en France en 1943-1944, il ne s'agit plus d'attentisme. On retrouve ainsi les clivages mentionnés par Jacques Semelin, du point de vue opposé. Il n'est donc pas étonnant que l'auteur se retrouve en accord avec Philippe Burrin (sur l'interprétation de l'attitude de Lucien Febvre[3]) ou Renée Poznanski (sur la presse clandestine face au « génocide »). Car en son temps Burrin avait été contesté par François Marcot pour son usage trop extensif du concept d'«accommodation » et par Jean Quellien qui reprochait à son livre d'être trop centré sur les élites urbaines.

Tous ces débats tendraient plutôt à montrer à quel point cette période des années noires, comme la Révolution française, est fondatrice dans notre histoire puisqu'on n'arrive pas à la « refroidir ».  Peut-être feront-ils l'objet un jour d'une autre synthèse du type des manuels de la collection Nouvelle Clio, où les « questions en débat » étaient objectivées, regroupées et distinguées des acquis de l'instant.

Bruno Leroux

 

 

[1] Flammarion, 2004.

[2] In Jacqueline Sainclivier et Christian Bougeard (dir.), La Résistance et les Français. : enjeux stratégiques et mouvement social, PUR, 1995.Cf. aussi  la thèse inédite sur la Corse de Sylvain Gregori.

[3] Pour un point de vue plus favorable, voir Julian Jackson.