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Émilienne MOREAU-ÉVRARD


(1898-1971)
Résistante pendant les deux guerres mondiales.
Londres été 1944, Émilienne Moreau-Évrard est un symbole de la Résistance pendant les deux guerres mondiales.

Coll. musée de l'Ordre de la Libération
Londres été 1944, Émilienne Moreau-Évrard est un symbole de la Résistance pendant les deux guerres mondiales.

Coll. musée de l'Ordre de la Libération


Émilienne Moreau est née à Wingles (Pas-de-Calais) le 4 juin 1898 dans une famille de mineurs. En  1914 son père retraité de la mine s'installe avec sa famille à Loos-lez-Lens (aujourd'hui Loos-en-Gohelle) et gère une petite épicerie. Émilienne rêve de devenir enseignante et prépare à cette fin le cours préparatoire au brevet d'institutrice lorsque la Grande Guerre éclate. Après la victoire française de la Marne, les Allemands se lancent dans la « course à la mer » pour atteindre les Flandres belges et la mer du Nord. Durant cet épisode de la Guerre,   la petite ville de Loos-lez-Lens, encore occupée par une partie de ses habitants, est âprement disputée à partir d'octobre 1914 pour finalement être prise par les Allemands et se retrouver sur la ligne de front. Pendant près d'un an, les loossois subissent la rude occupation allemande. En décembre son père décède la laissant seule avec sa mère, sa jeune sœur et son frère de 10 ans.

Montrant une indéniable force de caractère et surmontant tous les obstacles, en février 1915, elle crée dans une cave une école improvisée pour une quarantaine d'enfants de Loos privés de leur instituteur mobilisé sur le front. Elle réussit également à convaincre les autorités militaires de lui laisser le droit de ramasser des morceaux de charbon sur les terrils de la commune avec ses élèves permettant aux habitants de surmonter la pénurie de charbon qui frappe cette région minière... c'est aussi l'occasion pour elle d'observer les défenses allemandes.

Le 25 septembre 1915,  les Écossais du 9e bataillon du Black Watch lancent une attaque pour reprendre la ville. Émilienne qui n'a que 17 ans, va à leur rencontre et leur donne des informations sur les défenses ennemies installées sur un terril, fortin quasi inexpugnable. Forts de ces indications, les Écossais prennent les Allemands à revers et réduisent ce nid de résistance avec un minimum de pertes.

Infatigable, en pleine bataille, avec un médecin écossais, elle met en place dans sa maison un poste médical où elle prodigue des soins à des blessés pendant 24 heures.

Chose encore plus extraordinaire pour l'époque,  elle prend les armes et fait le coup de feu, parvenant avec trois soldats écossais blessés à neutraliser deux soldats allemands embusqués dans une maison voisine. Quelques temps après, restée seule dans une cave avec un blessé, alors qu'elle est prise pour cible, elle  abat  à travers la porte deux fantassins allemands à coups de revolver.

La ville libérée, Émilienne et sa famille sont évacuées. À 17 ans, elle devient « l'héroïne de Loos ». Le 2 novembre 1915, elle est citée à l'ordre de l'armée par le général Foch. Figure patriotique incarnant la résistance à l'ennemi, son image est largement utilisée par la propagande pour soutenir le moral de la population et des troupes. Elle reçoit la croix de guerre avec palme sur la place d'armes de Versailles le 27 novembre 1915. Le jour même, elle est reçue par le Président de la république Raymond Poincaré. De leur côté les Britanniques ont reconnu ses actes de bravoure en la récompensant de la Military Medal, de la Royal Red Cross (first class) et de la Venerable Order of St John of Jerusalem, cette décoration n'étant que très exceptionnellement attribuée à une femme.

Le Petit Parisien fait paraître pendant deux mois successifs « ses mémoires » sous la forme d'épisodes. En 1916, un film inspiré de ses exploits est même tourné par le réalisateur australien Georges Willoughby : The Joan of Arc of Loos (La Jeanne d'Arc de Loos).

Cette médiatisation ne lui fait pas perdre de vue sa vocation première : l'enseignement. Installée à Paris, elle prépare le brevet supérieur de l'enseignement public. En parallèle, elle fait fonction d'institutrice dans une école de garçons dans le XVe arrondissement de Paris jusqu'à la fin de la guerre. Après l'armistice, elle exerce son métier d'institutrice dans sa région natale, dévastée par la guerre.

Militante au sein du parti socialiste de l'époque (la SFIO) dès 1930, elle épouse en 1932, Just Évrard, secrétaire général adjoint de la fédération socialiste du Pas-de-Calais, et frère de Raoul Évrard, député SFIO du même département de 1919 à 1936. Elle fait ses premières armes en devenant secrétaire générale des femmes socialistes du Pas-de-Calais en 1934.

En juin 1940, le couple Évrard et les deux enfants de Just, Raoul et Roger, vivent à Lens. Dans cette région du Nord-Pas-de-Calais qui a déjà  connu une occupation allemande très dure durant la Grande Guerre les sentiments antigermaniques s'expriment très rapidement d'autant que ces deux départements, placés sous l'autorité du commandement militaire de Bruxelles, deviennent une « zone interdite », annexée de fait.

Connue des Allemands pour son action héroïque en 1915, Émilienne est immédiatement placée en résidence surveillée à Lillers.

Bientôt autorisée à retrouver sa famille à Lens, elle n'hésite pas à entrer à nouveau en résistance contre les Allemands mais non plus de façon individuelle et spontanée comme en 1915. Au sein  de sa famille, elle poursuit dans la clandestinité les  activités militantes d'avant-guerre. Fin 1940 au domicile familial est créée la section socialiste clandestine de Lens. La famille Évrard assure la diffusion de tracts et de journaux clandestins socialistes tels  L'homme libre (1)  puis La IVe République, mais aussi La Voix du Nord.

Les Évrard sont parallèlement contactés par l'Intelligence Service à qui ils fournissent de précieux renseignements.

Just Évrard est arrêté en septembre 1941. Libéré en avril 1942, il se trouve contraint de  passer en zone Sud. Émilienne l'y rejoint  et le couple s'installe à Lyon. Commence alors pour elle une intense activité d'agent de liaison pour le Comité d'action socialiste (CAS) de zone Sud, fondé en mars 1941 par Daniel Mayer et des responsables de la SFIO, puis, à partir de mars 1943 pour le parti socialiste clandestin reconstitué. Elle remplit les mêmes missions périlleuses pour le réseau de renseignement Brutus, dépendant de la France Libre et dont le recrutement s'appuie en partie sur les socialistes résistants du CAS. Émilienne alias Jeanne Poirier ou « d'Émilienne la Blonde », assure les liaisons avec la Suisse et exécute diverses missions vers Paris, Toulouse, Marseille.

En octobre 1943, étant désigné pour siéger à l'Assemblée consultative provisoire d'Alger son mari quitte la France par une liaison aérienne clandestine. C'est à cette date qu'elle entre au mouvement « La France au Combat » fondé en octobre 1943 par André Boyer  pour tenter de former au sein des Mouvements Unis de Résistance de zone Sud un quatrième pilier (à côté des mouvements Combat-Libération-sud et Franc-Tireur) regroupant les organisations de tendance socialiste Vény (groupes d'action) et Brutus (réseau de renseignements).

Fin mars 1944, à Lyon, elle échappe de justesse à l'arrestation lors de l'affaire du 85 de l'avenue de Saxe, adresse utilisée par le Parti socialiste clandestin, Brutus et Libération Sud.

En mai 1944, une série d'arrestations déciment « la France au Combat ». Elle réchappe  in extremis  à une souricière tendue par les Allemands à son domicile du quartier de la Guillotière à Lyon, essuyant au passage des coups de feu.

Traquée, elle est désignée par « La France au combat » pour siéger à l'Assemblée consultative d'Alger et doit être exfiltrée. Après plusieurs tentatives, elle part finalement pour Londres par une opération aérienne le 6 août 1944.

À Londres, elle expose le rôle des femmes dans la Résistance à l'occasion de conférences et d'un discours à la BBC. Lors de sa première conférence de presse le 15 août 1944 elle déclare notamment : « Ce sont pour la plupart, des femmes qui font les liaisons des groupes de résistance, ce sont des femmes qui portent et distribue souvent les journaux et les tracts. Ce sont encore des femmes qui, [...] revenaient fourbues, lasses, épuisées, rapportant aux organisations les renseignements sur la concentration des troupes. [...]  La femme française a réagi, j'oserai dire, plus vite que les hommes parce que, mère de famille, elle s'est trouvée aux prises avec toutes sortes de difficultés que ne connaissent pas les hommes.» (2)

De retour en France en septembre 1944, elle aide son mari à reformer les sections socialiste du Pas-de-Calais. Symbole pour la seconde fois de la résistance féminine française, elle est l'une des six femmes à être faites Compagnons de la Libération. Elle est décorée de la Croix de la Libération par le général de Gaulle à Béthune le 11 août 1945. De ce fait, son statut change au sein de son parti : elle  devient membre du Comité directeur de la SFIO de 1945 à 1963. Elle occupe également les fonctions de conseillère honoraire de l'Assemblée de l'Union Française de 1947 à 1958.

À l'aube de la Ve République, elle abandonne ses activités publiques et se consacre à l'écriture de ses mémoires qui sont publiées peu de temps avant son décès  le 5 janvier 1971 à Lens.

  

Frantz Malassis

 

(1) Fondé par Jean-Baptiste Lebas. Déjà pendant la Grande Guerre, maire de Roubaix, il s'oppose aux Allemands en refusant de leur livrer la liste des jeunes de dix-huit ans, qui devaient être envoyés comme travailleurs de force en Allemagne. Arrêté en 1915, il est alors interné à la forteresse de Rastadt. Déchu de ses fonctions de maire (1918-1940) par  Vichy, il appelle dès août 1940 à la résistance, dans une brochure intitulée Le socialisme continue ! À la fin de l'été, il fonde l'un des tout premiers groupes de Résistance en zone occupée, autour du journal L'homme libre ; il est arrêté en mai 1941, déporté et meurt en Allemagne. Son journal continue pendant quelques mois sous l'appellation La IVe République.

(2) Émilienne Moreau, La guerre buissonnière : une famille française dans la Résistance, op.cit., p. 267-268.

  

Sources :

- Émilienne Moreau, La guerre buissonnière : une famille française dans la Résistance, Paris, Solar, 1971.

- Vladimir Trouplin, « Émilienne Moreau-Évrard » in  Guy Krivopissko, Christine Levisse-Touzé, Vladimir Trouplin, Dans l'honneur et par la victoire. Les femmes compagnon de la Libération, Tallandier, 2008, 100 p.

La présente biographie d'Émilienne Moreau-Évrard doit beaucoup à cet article.